Hisako Kajiwara, une femme peintre au début du siècle

Hisako Kajiwara (1896-1988), ne fut pas la seule femme à devenir peintre dans ce début du siècle  Taishô et Shôwa à Kyoto. Elle s’intéressa d’abord au waka avant de suivre l’enseignement des peintres Chigusa Soun et Kikuchi Keigetsu, maitres du Nihonga, cette “nouvelle peinture japonaise”, qui mettait en avant le génie japonais tout en incorporant des éléments de style européen.  Dans le monde de l’art à Kyoto elle était, avec Ôtani Chigusa et Wake Shunkô, l’une des “trois dames accomplies”  à fréquenter l’atelier de Kikuchi Keigetsu et poursuivait en cela une longue tradition des femmes dans l’art japonais, comme avant elle Sei Shonagon ou dame Murasaki-shikibu.

Ou réside la beauté ? dans une vision codifiée et rêvée de l’être aimé, une aspiration à un idéal de beauté et d’art que la femme est chargé de faire parvenir à l’homme ? Ou bien la personnalité et le réel chargé de chair suffit il à faire surgir le désir. Encore aujourd’hui la femme est porteuse de cette longue traine d’aspiration où tout est finesse, subtilité et envoutement . Se rapprocher de la condition réelle, la rendre plus proche et pour autant énigmatique, décalage entre attente quotidienne, ombre au visage et séduction, visage de l’amour et corps comme une fleur surgit d’une armature de feuille, l’apparat est signale mais le visage et l’intention prend toute sa force, il fait immerger.

La femme : la vision de poupée que les peintres en ont donné, notamment dans le bijinga (peinture de belles femmes) ne reflète absolument pas la vérité des femmes japonaises, au caractère fort sous une apparence dévouée et Kajiwara fit évoluer le genre par son travail. Est-ce l’influence de Chigusa soun, qui fut son professeur et qui, comme elle, ressentait le besoin de se rapprocher de la vérité charnelle du peuple, attiré par la modernité de l’occident et d’une peinture moins idéaliste et codifiée, plus chargée du vécu de ce Japon en mouvement et de la chair de ceux qui vivaient cette rupture. Comme lui, Kajiwara s’éloigna d’une peinture élégante et représenta la femme sous des traits plus moroses, plus emprunt de réalité. On y voit des geishas ayant perdu leur beauté et des femmes soumises à un travail dégradant et fatigant, portant sur elles les marques des soucis et de la vie laborieuse.

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Tout cela est bien loin de cette  femme japonaise idéale, immobile jusque dans la fixité des couleurs, des postures, de l’attente des hommes et de leur désirs de beauté, idée plutôt que personnage, femmes pourtant au charme si vivace et à la personnalité si forte. Kajiwara nous la fait elle mieux sentir ?

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Pour aller plus loin :

Kajiwara Hisako
L’élégance peinte par les femmes de la période Showa
Pour les femmes japonaises, l’élégance est au prix de l’individualité, Japan times
Les femmes artistes de Kyoto
Nihonga
Kikuchi Keigetsu

Sans rien dire

Peinture inconnu

Peinture inconnu

Ce pourrait être une peinture d’un peintre japonais, j’y vois la brume qui descend sur la  montagne ou qui fait le ciel , comme un voile, une poudre de pluie,

cette exposition à l’humidité et à la vue voilée me chavire, les trous du vide et la page, comme le temps fait que je ne saisirai jamais le monde dans mes bras , je ne pourrai que le respirer, et humer le voile,, aucune idée de dévoiler, Isis n’est pas d’ici, le voile n’est pas un linceul, il est un sourire timide, la modestie du monde et la mienne qui ne peut que m’habiller

la nudité n’est pas d’ici ,

se voit en marchant

et la mélancolie

Comme des rides la trame de la vue qu’ici on nomme texture parvient jusqu’à mes bronches, comme une ondée dans mes narines,

je perçois plus que je ne vois

 

Mais il faut bien que j’admette que cette peinture n’est pas japonaise, on voit des bouts d’écriture de langue française par en dessous, somme toute, la peinture dessus un papier manuscrit, il y a pour tant des bribes de ce qui pour moi est le Japon, dans cette écriture à la densité vague, poussée par un mystérieux peut être qui revenait du JAPON

Dupin , encre

Dupin , encre

envie de citer cet autre livre improbable

De nul lieu et du Japon, suivi de “Sans rien dire”

de Jacques Dupin

ISHIKAWA Takuboku

itiakunosunaQue, d’après Makoto Ueda

Il devint de plus en plus critique de la poésie, éprouvant parfois un plaisir presque sadique à la faire dérailler de ses rails.  les poèmes ne soit que des jouets de tristesse – de jeux pour ceux qui ont échoué dans la vie. Aucun grand poète japonais n’était auparavant parvenu à ces conclusions. De là dérive la vision si particulière de Takuboku.

Un messager du ciel, pris au piège sur la terre, le poète est doté d’une capacité particulière à percevoir la lumière céleste qu’il tire de la force de son aspiration à transcender la beauté. Cette capacité a pour effet de l’aliéner du reste de l’humanité mais il y gagne une vision  du paradis.

(traduit de Modern Japanese Poets and the Nature of Literature de Makoto Ueda (30 novembre 1983)

4218767673_8b81ded245_mMais que voit donc le poète,, quelle est cette nature céleste qu’il perçoit , s’agit il de Dieu ? de Bouddha ? d’une force métaphysique ? Ce poète à la destiné tragique proche de celle de Rimbaud, touche, plus par sa destinée que ses seules poèmes, haiku ou Tanka. Le haiku s’échappe de son cadre traditionnel et le pote parle d’une vie moderne, de douleurs de son ego, de souffrances personnelles, cela n’est pas le cadre habituel de cette forme poétique. Ces concentrés universels se promènent dans les rues le moi s’y déverse; Je pense aux blues de Kerouac, il ne faut pas. Faut il y voir un poète maudit, l’adolescence, un pic de la modernité avant l’heure, un peu en avance, est-ce cela qui fait mal ? En cette époque de changement culturel de l’ère Meiji où les anciennes évidence s’enflamment au contact de l’occident et la prise de conscience que nous ne sommes pas seuls. Car si Segalen dans son “essais sur l’exotisme” entrevoit toute la problématique de l’étranger sur le sol autre qui par sa simple présence change la réalité du lieu visité ; que penser d’un lieu culturellement fermé sur lui même se retrouvant du jour au lendemain exposé à tous les vents ? L’ancienne évidence sans remise en question est d’emblée balayée. Est -ce de cela dont la poésie de Takuboku témoigne ?

front page of the June 21, 1905 edition in Takuboku Ishikawa's Honeymoon House in Morioka.

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133418351417413217019_takubokuEst ce de la capacité et des limites de chaque individu, des dons perdus ou chavirés. Est-ce de frustration et d’aspiration à l’idéal et si l’adulte ne parvient pas à tuer les rêves ou si la vie n’est pas assez forte pour venir à bout de la poésie, si le sentimentalisme et la complaisance cachent mal finalement le malaise de nos états d’être ou âmes quotidiens appuyés à la réalité. Comme un train qui fonce, la vie du jeune Takuboku incite à dérailler la poésie des voies traditionnelles de détachement, le poète sous sa hutte ou à l’ombre du pin et surplombant la nature est dans la ville, dans un train, dans des banlieues qui n’en finissent pas et déploient les fils électriques et frustrations existentielles.

Je vois sa poésie enserrée des exigences nouvelles, ne plus accepter de s”éloigner du centre vif de la pulsation moderne, exigeante, en arriver à la notion même de soi, individualisme nouveau et maladif, ses rails, fortement teintés d’une brève incompréhension, celle du Japon impérial et impérialiste comme réponse inverse à la prégnance de l’isolement et du détachement. La vie des jeunes hommes, comme celle De Soseki revenant d’Angleterre, la mallette remplie d’idées modernes et de devoir devenir. Faut il y voir cette difficulté d’être de ce temps et de poète. J’y perçois cette tentation, de l’enchantement de la beauté et de la furieuse envie, la mélancolie s’installe, rêverie japonaise instable. Est-ce cette irruption de ce Japon à fleur de peau de cette exigence à vivre ?

ISHIKAWA Takuboku, est le pseudonyme d’ ISHIKAWA Hajime est né en 1886 à Hinoto dans la province d’Iwate. Il meurt de la tuberculose en 1912.
  Né en 1886 près de Morioka (au Nord-Est du Japon), Ishikawa Takuboku compte parmi les auteurs qui, au tournant du XIXème et du XXème siècle, surent insuffler une nouvelle vie aux formes classiques de la poésie japonaise et plus particulièrement au tanka, une forme courte comprenant 31 syllabes traditionnellement réparties selon une métrique stricte cinq/sept/cinq/sept/sept.Dégageant la forme du tanka de cette métrique fixe, Ishikawa Takuboku en a aussi renouvelé les thèmes. Les textes rassemblés ici, et qui correspondent à la première partie de son premier grand recueil paru en 1910 sous le titre Ichiaku no suna (“Une poignée de sable”), donnent une large place à l’expression d’un individualisme plutôt inhabituel dans la société japonaise du début du XXème siècle.Chacun des tankas qui constituent ce recueil se fait ainsi l’écho d’une sensation, d’une émotion, d’un bref instant illuminé par la contemplation d’une image – autant de perles parfois futiles et souvent teintées d’égotisme. Encore y a-t-il une forme d’ironie dans le choix de ce titre: “L’Amour de moi”. lecture-écriture

takuboku

Quelques poèmes:

Écrasé

dans ce coin d’un train bondé

chaque soir je m’attendris sur moi-même

Le miroir à la main

lassé d’avoir trop pleuré

j’essaie toutes les grimaces

Soudain une angoisse profonde

je me fige

et doucement caresse mon nombril

Sans but monté dans un train

quand j’en suis descendu

nulle part où aller

Je sens mon cœur

lentement s’alourdir

comme l’éponge se gorge d’eau

Sans raison

l’envie de courir à travers les prés

à bout de souffle

J’ai éteint la lampe

tout exprès pour me concentrer

sur des pensées futiles

Quand j’ôte le bouchon, l’odeur d’encre fraîche

descend dans mon ventre affamé

et me rend triste

Mon prochain jour de congé

je le passerai à dormir

trois ans que cette pensée m’obsède

28-210takuboku

Lectures poursuivre =>

sur Takuboku

des blogs
Compagnie des limbes
Une seconde et l’éternité
Japon, mon amour
Ruth Linhart
library prefecture Iwate
Takuboku
Ishikawa Takuboku memorial museum
blowing in the wind”
des livres
Modern Japanese Poets and the Nature of Literature
Par Makoto Ueda

Qui comprend que ce bonheur repose sur la tranquillité de l’existence ?

Fukuda Kodojin fut d’abord un poète de haïku, classique d’abord il se rallia vite à  la manière moderne de Masaoka Shiki et vécu de ses haiku qu’il envoyait aux revues. Du poème à la peinture, sa vie semble le conduire à forger son propre style qui sera multiforme, à la fois classique et non conventionnel.

L’un des dernier peintre-poète ou peintre-lettré que connaisse le Japon, il conçoit le haiku et la peinture comme allant de pair, texte trouvant un écho dans l’image, ou le dessin, et la peinture prolongeant l’improlongeable, lui donnant corps, peut être, illustrant le lien fort  qu’entretient l’écriture et le dessin dans cette civilisation du pinceau. On retrouve dans ses peintures une modernité faite de liberté et d’appel à la sérénité, points, traits et aplats, le style semble se régénérer comme l’être se déploie, ce prunier en fleur est proche d’un pointillisme rythmique, presque musical à la façon d’un Michaux et procurant une joie contrastée. Est-ce l’univers du Haiku insufflé dans la peinture,  joie de vivre est liberté contagieuse à iriser la feuille, on y parle de vin, de poésie, utilisant parfois la couleur, procurant un liant apaisant.

Fukuda Kodojin

Fukuda Kodojin

Kodôjin, le “vieux Taoiste” perpétue la tradition de ces lettrés-sages orientaux qui appuyaient leur vies à l’étude des anciens et menaient une vie, de tranquillité et de modestie, créant avant tout pour eux-même et leurs amis.

Fukuda Kodojin, pin à Edo

Fukuda Kodojin, pin à Edo

Ce dessin à l’encre, semble inviter à s’éloigner du tapage et à une méditation aussi tranquille que joyeuse, contraste et douceur s’accommodant de la densité d’un mur de brique ou du feuillage, noir de l’encre vibrant d’un peu de couleur lumière d’un soleil qu’on imagine clair et vital.

 Qu’il soit né dans la région rurale de Wakayamade dans la petite ville de Shingu, explique peut être que ses peintures soient une ode à la beauté des paysages, de la nature et des campagnes, synonyme sans doute de la joie simple et tonique. Un idéal idyllique. De toutes les couleurs pures, brillantes et étalées comme une supplication attentive.

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  Il admirait Tomita Keisen qui comme lui aimait les compositions et le travail de l’encre non conventionnel. Et même quand le noir et l’encre s’étale, rompt la perspective et s’effondre en gouffre d’eau, s’éclipse en gouttes de vapeur rejoignant le poème en chute libre, comme le pinceau épais écrit et trace le temps de la chute tout ce bruit dégringole.

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quelques blogs :

http://sekisen-kyoto.com
manyoancollection.org

Sho Asakawa

Sho Asakawa, est une artiste japonaise adepte de l’encre que j’ai croisé sur le net par hasard. Le net favorise ces découvertes, de photos en liens, d’événements en définitions, la sérendipité est partout et nous ouvre les mondes. Curieux, qui désirons en savoir plus, découvrir et jeter une multitude de regards, apprendre, affiner, aiguiser, sautons comme à saute-mouton, découvrir ce monde rêvé qu’enfin je rêve. Car je l’avais cherché, et depuis longtemps.

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D’abord une image, une encre subtile et massive, secrète, abstraite, imprégnée de nature et dans ce geste cette texture qui sont la peinture, déroulent dans ce même instant une exactitude de la conscience. J’y entends la respiration, le souffle, l’air, l’attention portée à ce qui vibre, à ce qui tremble. L’encre et la fine musicalité des tons, naturelle incision, déclinaison, comme une pente de roc s’oriente vers l’océan et plonge, comme une épine de pin ou un arbre oscille dans le vent. C’est cette capacité à exprimer cela, à affirmer la présence par le souffle, sans métaphore, sans rugosité, par participation, perspiration qui a maintenu vivante ma fascination. La rencontre avec l’occident fut fructueuse, qui autorisa le hors piste, la prise de risque et de dévaler dans cet l’esprit asiatique qui cachait dans des marques le paysage, ce grand contentement. Ce ne sont plus des couleurs, des tons, l’espace mais respiration et tremblement.

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Mais qui est cette peintre ? Une page d’un site la présente ainsi :

Sho ASAKAWA, née au Japon, vit et travaille en France depuis 1987. L’artiste, le plus souvent, peint ou dessine dans la Nature non pas tant pour y trouver du paysage que pour entrer en communication avec Elle et ses vibrations, la lumière, le vent, l’espace infini… Pudiquement, l’artiste parle de “sensation sacrée” ou de “béatitude”… Probablement ce qu’elle n’ose dire c’est la “jouissance” de ce rapport intime, “rimbaldien” pourrait-on dire… Souvenons nous : “Picoté par les blés, fouler l’herbe menue, Par la Nature, – heureux comme avec une femme”.

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Je cherche au Japon à confirmer et approfondir cette intuition, cette sensibilité qui est multiforme, toujours ailleurs que recherché, ces montagnes embrumées sans maisons me font être en communion avec le pressentiment lointain, venant loin depuis l’enfance, venant d’une sensibilité à la grande nature, comme une langue en dehors de toute forme, respire,

Sens de l’abstraction, qui pousse loin cette reconnaissance. Il ne suffit pas de toucher, il faut ingérer.  Il semble que les artistes contemporains japonais manient l’encre pour en arriver là, cet éternel présent serein, hors de tout temps dans toute chose. L’encre, mon médium préféré, tellement lié à cette culture de l’écriture, l’encre-matière vit , l’encre-eau pulse, dévale les ciels et les montagnes. Les poèmes, les suggèrent. Voila ce que cette peinture vient confirmer, à la suite de traditions qui ancrent cet esprit, à la suite d’une passion contemporaine, on pousse le présent aussi loin que possible et bien sûr, poursuivant une pratique qui place l’artiste au cœur des éléments, eau et suie, poils de cheval, papier de riz , le sentiment accueille ceci et se met à dialoguer de plein pied avec la matière du monde.

Elle dit elle même , ce que j’avais tenté à plusieurs moments de ma vie de peintre,  aller s’immerger dans la nature, non pour en retirer des lignes d’un paysage, non pour en retirer l’essence , faut il viser si haut, mais jouir de la respiration et vibration qui constituent la nature, nous contient, dialogue qui peut s’ensuivre entre soi oublié et l’écorce, la mousse ou le vent. La matière parle, le souffle vit, le poils du pinceau frémit. L’encre s’épanche aussi rigoureuse qu’indéfinie. Elle parle de sublimation, de rapport sacré, l’artiste dans la plénitude, l’anecdote évacuée, toute à l’encre.

Je me souviens de ma fascination pour la série des fleurs de Zoran Music. Une fascination que je sentais très proche de la nature profonde des fleurs et du végétal et que je retrouve ici. Peut être pas dans ces grands aplats d’encre de matière mais dans ces dessins plus intimes où la plante est laissée à ces méandres et souffles épurés de la ligne, de la masse, du rhizome, de la boucle et du bouton. On écoute la fleur qui est musique, comme le dit donne à l’entendre Aya Nishina dans ses pièce de musique abstraites. Le papier prend toute sa matérialité et dit nous sommes dans la matière mais mieux nous sommes dans l’esprit, dans la musique, dans la poésie. Mais nous sommes dans la respiration et dans ce qu’ici nous nommons improprement la nature. Il doit y avoir un meilleur mot, la respiration. Le peintre, lui même matière, lui même respiration. Le végétal à peine esquissé on est plongé dans le mystère et son frémissement. La délectation

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Les poupées kokeshis

Dans la région du Tōhoku (東北地方, Tōhoku-chihō).dans le nord de Honshū, célèbre pour ses sources chaudes, les poupées kokeshis, mignonnes et épurées, étaient fabriquées par les artisans du bois depuis la fin de l’ère d’Edo, il y a environ 150 ans.

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Destinées aux enfants des paysans, simples et rustiques mais élégantes et fines comme sait en créer l’esprit japonais, les poupées étaient peintes et décorées de fleurs et recouvertes de laques. Ouvragées en bois sec de cerisier, poirier, cornus ou érable, le bois devait vieillir de un à cinq an avant de pouvoir être travaillé. Il existe plus d’une centaine de types de ces poupées. (Les poupées au Japon sont nombreuses  et il en existe de bien d’autre sortes )

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Sorte de petits fétiches, corps surmonté d’une tête, elles ont l’aspect d’un petit homme ou femme japonaise, elles ne sont pas abstraites mis renvoient à un personnage. Le tout habilement décoré témoignant d’un sens émouvant du dessin . On croirait voir quelque petit personnages de bande dessinées. Les poupées ne sont pas que des jouets pour les enfants elles témoignent en fait de l’amour des parents pour leurs enfants, elles sont une fascination de l’enfance, hommage à la naïveté qui nous les rends si proches.

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Réalisés avec tendresse et affection, elles nous sont si proche et émouvantes, est-ce parce qu’elles ont une âme ? ou qu’elles sont des sortes d’offrande pour que les enfants demeurent en bonne santé, d’où cet aspect de fétiche ou de porte bonheur et ont gardés cette signification quand on les offre aujourd’hui pour déclarer son amitié ou son amour à la personne qui la reçoit. Symbole positif s’il en est et emblématique de la valeur de l’enfant dans la famille japonaise pour qui tout est donné pour en faire un bel adulte. (L’éducation est un véritable sacerdoce pour la femme japonaise qui y met une énergie incroyable.

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L’origine lointaine et rituelle de la poupée kokeshi ainsi que son importance au Japon vient peut être de son origine sacrificielle telle que le rapporte l’écrivain Yoko Tawada dans “Narrateur sans âmes, – Là où commence l’Europe” :

« Il y a bien longtemps, lorsque les gens de son village vivaient encore dans une très grande misère, il pouvait arriver que les femmes tuent leurs propres enfants, juste après la naissance, pour ne pas les condamner à mourir de faim. Pour chaque enfant ainsi tué, on fabriquait une kokeshi, ce qui veut dire ‘faire disparaître l’enfant’, afin que les gens n’oublient jamais que c’est grâce au sacrifice de ces enfants qu’ils avaient survécu. »

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Mais si la vie conserve son coté dur et implacable, lutte sans merci pour la survie, la magie et l’émerveillement aussi demeure. Les poupées kokeshis ont leur survivance dans les “Kimmidolls” qui revisitent la tradition en proposant un design épuré basé sur des éléments graphiques forts mais raffinés, chaque figurine incarnant un grand principe de vie (sagesse, amitié, générosité …)

Plus récemment, le célèbre développeur de jeux vidéo, Shigeru Miyamoto a expliqué que les kokeshi lui ont inspiré la création des Mii, les personnages de la console de jeu Wii qui eux aussi ont aspect merveilleux et rituel.

Yoko Tawada, Narrateur sans âmes, – Là où commence l’Europe” J F Sabouret : Japon , la fabrique des futurs CNRS Blog : “les poupées Kokeshis” et Kokeshis Kimmidolls Les personnages Mii de Shigeru Miyamoto

Hine Taizan

Hine Taizan (1813-1869) fut un des peintres lettrés de Kyoto de la fin du 19ème siècle (période d’Edo). Il fut l’élève d’Hidaka Tetsuo, le peintre moine de Nagasaki , héritier de l’art des peintres chinois. D’origine modeste et paysanne Hine Taizan parvint néanmoins à devenir l’élève d’Okada Hanko un artiste et poète renommé d’OSAKA ainsi que de Nukina Kaioku, érudit confucianiste de Kyoto dont l’influence fut décisive sur le choix de Taizan de se consacrer à la peinture delettrés. Il voyagea dans la région de Kumano pour y apprendre l’art de la peinture de montagne et finit par s’installer à Kyoto en tant que peintre où il acquit ‘un belle réputation.

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Chute d’eau, encre sur soie (1868)

sources Copyright © 2014 BachmannEckenstein | JapaneseArt, All rights reserved.

Ikko Naharara , une certaine posture de vivre

La photographie japonaise, faut il parler d’image? Lorsque je regarde une photographie japonaise, qu’est ce que je vois ? Qu’est ce que je vois en plus de voir, où le photographe m’emmène t’il , bien sûr, réfléchir sur l’image nous entrainerait bien loin, et puis il faut rester ouvert à la surprise et l’étonnement, il y- a d’ailleurs de cela, et puis il y a là où je vais, ce que je touche, la matière et la texture, le grain du papier, le noir, le blanc, les gris, la narration et la sensation, au delà bien sûr de l’effet d’exotisme.  L’encre et le pinceau, a t’il eu une influence sur le photographe, l’ombre et la lumière, comment voir, acceptons le voyage.

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IKKO NARAHARA, né en 1931 dans la Préfecture de Fukuoka, fit ses début vers la fin des années cinquante où il fut Cofondateur de l’agence photographique VIVO avec Shomei Tomatsu, Eikoh Hosoe, Kikuji Kawada, et d’autres.

Il s’est particulièrement intéressé à des personnes en situation d’isolement ou d’enfermement (prisons, enceintes comme celles des monastères des gares, cages d’escalier qui finalement révèlent bien une certaine modernité. Il tenta de créer un “documentaire personnel” et aspira à révéler “un processus qui mette à nu la forme intérieure par la peinture exacte de l’environnement extérieur” selon ces propres mots. En équilibre d’après Priska Pasquier entre description et abstraction et et objectivité et narration personnelle. Elle parle à son sujet de picture essays , ce qui illustre bien le caractère abstrait et narratif que ces photos revêtent, dépassant largement le simple documentaire. Et ceci même si l’aspect documentaire sociologique d’un monde en mutation, celui du Japon d’après guerre face à des défis de taille, l’industrie, le nucléaire, ancre son œuvre.
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Le photographe fut intéressé par l’occident et sa philosophie, comme le furent beaucoup d’artistes japonais du siècle, sans doute anxieux de se rapprocher de ce qui faisait l’époque et avides de comprendre, d’apprendre, cette philosophie qui imprègne la modernité dont l’occident était un moteur dans les années soixante. Mais cet éloignement, ces séjours à l’étranger et surtout son retour au Japon lui furent bénéfique, retour par une conscience aigu de la particularité japonaise, décalée ou enrichie par un regard renouvelé, comme le fut celui de Soseki en son temps. Comme il le dira lui même au cours d’un voyage dans l’Ouest américain, le japonais ne sait plus très bien si le monde où il voyage est encore la terre ou autre chose. Peut on prendre ces propos comme métaphore d’un temps où l’homme doit faire le grand écart pour s’y retrouver. Le photographe est les deux pieds dans son temps mais tente peut être de l’annihiler (le résoudre ?) en un non temps ?
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Le temps y semble arrêté, l’espace se resserrer sur les personnages, délimités ou fondu par l’ombre, le clair obscur, le blanc. La photographie est un tout à l’écoute de vies qui se résument.
Peut être cette perception du temps si japonaise, zen et épuré, est celle d’un temps sans temps. Cette fiction d’un temps arrêté est en tout cas centrale et son travail aux États-Unis dans les années soixante dix exprime cet suspension dans la photographie. Que révèle cette obsession ou cette conscience aigu de quelque chose d’arrêté dans l’image ? Qu’en est il de ce regard et que libère t’il ? Peut on y voir ce vide dont parlent les peintres chinois et qui préexiste à toute image, celle-ci advenant dans ce curieux espace sans fin, matérialisé et pourtant sans consistance, autre que de son regard, fatigue de l’œil ou de l’esprit, étendue nécessaire ? S’agit il comme le dit Priska Pasquer d’une disparition du temps dans un espace mystique ? l’espace joue ici avec ses flous et ces clairs obscur un rôle déterminant comme une enveloppe de la chair des vies. Les prolongeant, les faisant sienne, ou inversement.
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Univers poétique et surréaliste, contours humains qui s’estompent ou se fondent, se transforment en un autre espace, comme ce damier de la ville ou l’homme est une pièce, regard perdu qui interroge. Présence qui interroge, univers démesuré. A regarder les œuvres d’Ikko Naharara, une sentiment étrange que la question plastique renvoie à une posture de l’existant qui traverse l’espace et se positionne.  Qu’est ce que le regard perçoit et ne perçoit pas, qu’elle en est la traduction en termes picturaux, l’abstraction dont il est question est interrogatif. Cette sensation de questionnement par la photographie est rendue plus forte par le décalage, position entre deux mondes qui révèle par les éléments qui font l’image mais aussi par le grain et la matière, une incertitude existentielle.

imageDe son aveu même, le photographe fait des photos qui ont été coupées en forme circulaire. Il les fait pour retranscrire le centre du cercle rond de l’image projetée par l’objectif :

« Ce que vous voyez dans le viseur d’un appareil photo est seulement – excepté les objectifs circulaires de fisheye – le secteur pointu et carré qui a été coupé du centre du cercle rond de l’image projeté par l’objectif de l’appareil photo. De même, toute l’image que nous voyons avec nos yeux est également projetée comme cercle. Le centre est brusquement au foyer, alors que la périphérie plus indistincte que notre vision, a le travail de percevoir l’espace et le mouvement visuel dans lui. Quand on pousse l’obturateur d’un appareil photo, il me semble probable qu’on emploie son propre corps pour reconstituer la perception périphérique latente entourant le secteur limité dans le viseur. Et c’est à ça que les photographes se réfèrent en tant que “sens spatial”. »

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Selected Publications:
Where Time Has Stopped. Tokyo 1967
Espana Grand Tarde. Japan 1969
Japanesque. Tokyo 1970
Celebration of Life. Tokyo 1972
Where Time Has Vanished. Tokyo 1975
Domains (Ôkoku). Tokyo 1978
Venice – Nightscapes. Tokyo 1985
Human Land. Tokyo 1987
Tokyo, the ‘50s. Tokyo 1996
Stateless Land – 1954. Tokyo 2004

BASHO

musée_benin 007Le livre sur la table est relié à la japonaise, une cordelette forme la main qui maintient ensemble les pages et la couverture, une impression de papier végétal, sur la couverture comme un vieux bois gravé un portrait de Bashô ; les lignes et les pleins laisse au vide ce que sera la lecture : entre ses lèvres esquissées le livre va se dérouler, se dire.

j’aime les livres de cette facture, ils nous ramène à l’auteur, à la vie de celui ci quand ce qu’il écrivit put prendre place, le long des chemins ou dans un espace semblable au mien, là le fil se perd.

le cadre est posé, le livre est ouvert

faut il en conclure que le livre soit un cadre? je laisse la question en suspend car tout dans le livre est suspendu,  je l’ouvre

“à Kyoto rêvant de Kyoto” toute l’ambiguïté d’un réel se recherchant  ou disant son réel est déjà dans le titre, invitation au voyage dans l’immobilité ou est-ce plus compliqué ? qu’est Être et qu’est ce que rêver ?

il faut ouvrir le livre.

Bashô, pour moi depuis longtemps est le plus lumineux et le plus irrespectueux des poètes, il écrit des haïkai , il semble penser que la vie n’est pas respectueuse et comme moi, il pense que le singe y parvient le mieux. En quelques syllabes concilier l’inconciliable.

Dans le Japon entre dix-septième et dix-huitième siècle un jeune homme nait à la société et à la poésie de son temps  : celle du haiku ; l’art en dix-sept syllabes. Dès son plus jeune age, Bashô se prend de passion pour ces formes poétiques , la poésie, lui fera tourner le dos au confucianisme et rencontrer la pensée taoïste, son existence prise entre zen, ermitage et voyage.

Basho

Le voyage ou plutôt l’errance lui fera quitter toutes certitudes communes et entrevoir la magie d’un réel qui se profile, à l’orée du présent, voire de l’instant. Convaincu de l’importance de l’ordinaire et du quotidien, source du poétique, Bashô va se chercher dans le voyage, départ à la rencontre du monde semant sa poésie.

L’ermitage et le voyage, pourquoi ? Il semble osciller entre besoin de solitude, proximité avec la nature, et appel quasiment insensé de partir ; ce besoin impérieux, j’ai envie de le penser comme le bord du monde, comme la rencontre qui ne peut naître que de l’errance, de l’imprévu, de ce moment où les habitudes de vivre, même chichement, n’ont plus court et où il est possible de voir ce qui s’agite et que l’on voit pour la première fois, l’ayant toujours vu  dans une fulgurance souvent contradictoire ou semblant telle, regard, ouïe, pont vers le satori, (l’éveil transcendant à la réalité évidente et immédiate) l’illumination qui prend souvent le visage d’un instant du réel qui pourrait sembler absurde mais révèle la complexité de la réalité du monde. Si simple.

Le pont suspendu
enroulés à nos vies
les lierres grimpants

La vie en est emplie, chaque instant en recèle, cela n’est pas un état d’esprit, ou si oui qui surprend le réel au pied du lit, s’étoffe de la capacité à se saisir d’étonnement  et d’en être simplifié.

Le haïku dans sa forme d’immédiateté et simultanée le dit bien, de façon souvent cocasse et qui rappelle l’énigme, soudainement tout y est, une impression fugace du monde en action – l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère.

La multiplicité apparente des choses, l’action, est exprimée de façon simultanée et révèle l’énigme, carrée dans le réel et illuminée dans le rêve, c’est du rêve que peut naître cette impression de décalage – comme il le confesse lui même à un moine : “nous sommes tous deux dans le rêve”

On est frappé de voir ces simple mots fortement encrés dans les plantes et les fleurs, les bambous, les bananier (Bashô en japonais) les chevaux et les oiseaux, en un mot tout ce qui vit et que nous côtoyons tous les jours, avoir une si grande charge poétique et pourtant rester si humble, presque dégagé de toute poétique, comme une peinture chinoise, esquissée d’un simple trait, acquérir un sens si fort quoique mystérieux (la poésie) et en être tout simplement dégagé, c’est là que le dépouillement et l’absolu de la simplicité parviennent à dire et soulever le voile que traités de philosophie et romans en quinze tome ne parviendrait à peine à évoquer.

Les graves thèmes ne rendent pas le haiku plus fort, ils renforce la charge mais c’est que le réel se fait plus pressant, le regard sur soi plus aigu et n’empêchent que la plongée d’une grenouille dans l’eau est capable de révéler l’existence au poète dans son essence:

Le vieil étang
d’une grenouille qui plonge
le bruit dans l’eau

se plonger dans ces pictogrammes élargis que sont ces instantanés de vie, ces énigmes visuelles saisies au vol et parfaitement mis en idéogrammes, écrits, à la façon d’un gros plan cinématographique ou suivre Bashô en panoramique dans ses voyages, rencontrer avec lui et l’écouter se questionner le long des routes du vieux Japon ; deux itinéraires qui se rejoignent – qui sont le même visage d’un homme voué à la poésie, la simplicité et la vérité.

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