Le livre sur la table est relié à la japonaise, une cordelette forme la main qui maintient ensemble les pages et la couverture, une impression de papier végétal, sur la couverture comme un vieux bois gravé un portrait de Bashô ; les lignes et les pleins laisse au vide ce que sera la lecture : entre ses lèvres esquissées le livre va se dérouler, se dire.
j’aime les livres de cette facture, ils nous ramène à l’auteur, à la vie de celui ci quand ce qu’il écrivit put prendre place, le long des chemins ou dans un espace semblable au mien, là le fil se perd.
le cadre est posé, le livre est ouvert
faut il en conclure que le livre soit un cadre? je laisse la question en suspend car tout dans le livre est suspendu, je l’ouvre
“à Kyoto rêvant de Kyoto” toute l’ambiguïté d’un réel se recherchant ou disant son réel est déjà dans le titre, invitation au voyage dans l’immobilité ou est-ce plus compliqué ? qu’est Être et qu’est ce que rêver ?
il faut ouvrir le livre.
Bashô, pour moi depuis longtemps est le plus lumineux et le plus irrespectueux des poètes, il écrit des haïkai , il semble penser que la vie n’est pas respectueuse et comme moi, il pense que le singe y parvient le mieux. En quelques syllabes concilier l’inconciliable.
Dans le Japon entre dix-septième et dix-huitième siècle un jeune homme nait à la société et à la poésie de son temps : celle du haiku ; l’art en dix-sept syllabes. Dès son plus jeune age, Bashô se prend de passion pour ces formes poétiques , la poésie, lui fera tourner le dos au confucianisme et rencontrer la pensée taoïste, son existence prise entre zen, ermitage et voyage.
Le voyage ou plutôt l’errance lui fera quitter toutes certitudes communes et entrevoir la magie d’un réel qui se profile, à l’orée du présent, voire de l’instant. Convaincu de l’importance de l’ordinaire et du quotidien, source du poétique, Bashô va se chercher dans le voyage, départ à la rencontre du monde semant sa poésie.
L’ermitage et le voyage, pourquoi ? Il semble osciller entre besoin de solitude, proximité avec la nature, et appel quasiment insensé de partir ; ce besoin impérieux, j’ai envie de le penser comme le bord du monde, comme la rencontre qui ne peut naître que de l’errance, de l’imprévu, de ce moment où les habitudes de vivre, même chichement, n’ont plus court et où il est possible de voir ce qui s’agite et que l’on voit pour la première fois, l’ayant toujours vu dans une fulgurance souvent contradictoire ou semblant telle, regard, ouïe, pont vers le satori, (l’éveil transcendant à la réalité évidente et immédiate) l’illumination qui prend souvent le visage d’un instant du réel qui pourrait sembler absurde mais révèle la complexité de la réalité du monde. Si simple.
Le pont suspendu
enroulés à nos vies
les lierres grimpants
La vie en est emplie, chaque instant en recèle, cela n’est pas un état d’esprit, ou si oui qui surprend le réel au pied du lit, s’étoffe de la capacité à se saisir d’étonnement et d’en être simplifié.
Le haïku dans sa forme d’immédiateté et simultanée le dit bien, de façon souvent cocasse et qui rappelle l’énigme, soudainement tout y est, une impression fugace du monde en action – l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère.
La multiplicité apparente des choses, l’action, est exprimée de façon simultanée et révèle l’énigme, carrée dans le réel et illuminée dans le rêve, c’est du rêve que peut naître cette impression de décalage – comme il le confesse lui même à un moine : “nous sommes tous deux dans le rêve”
On est frappé de voir ces simple mots fortement encrés dans les plantes et les fleurs, les bambous, les bananier (Bashô en japonais) les chevaux et les oiseaux, en un mot tout ce qui vit et que nous côtoyons tous les jours, avoir une si grande charge poétique et pourtant rester si humble, presque dégagé de toute poétique, comme une peinture chinoise, esquissée d’un simple trait, acquérir un sens si fort quoique mystérieux (la poésie) et en être tout simplement dégagé, c’est là que le dépouillement et l’absolu de la simplicité parviennent à dire et soulever le voile que traités de philosophie et romans en quinze tome ne parviendrait à peine à évoquer.
Les graves thèmes ne rendent pas le haiku plus fort, ils renforce la charge mais c’est que le réel se fait plus pressant, le regard sur soi plus aigu et n’empêchent que la plongée d’une grenouille dans l’eau est capable de révéler l’existence au poète dans son essence:
Le vieil étang
d’une grenouille qui plonge
le bruit dans l’eau
se plonger dans ces pictogrammes élargis que sont ces instantanés de vie, ces énigmes visuelles saisies au vol et parfaitement mis en idéogrammes, écrits, à la façon d’un gros plan cinématographique ou suivre Bashô en panoramique dans ses voyages, rencontrer avec lui et l’écouter se questionner le long des routes du vieux Japon ; deux itinéraires qui se rejoignent – qui sont le même visage d’un homme voué à la poésie, la simplicité et la vérité.