La photographie japonaise, faut il parler d’image? Lorsque je regarde une photographie japonaise, qu’est ce que je vois ? Qu’est ce que je vois en plus de voir, où le photographe m’emmène t’il , bien sûr, réfléchir sur l’image nous entrainerait bien loin, et puis il faut rester ouvert à la surprise et l’étonnement, il y- a d’ailleurs de cela, et puis il y a là où je vais, ce que je touche, la matière et la texture, le grain du papier, le noir, le blanc, les gris, la narration et la sensation, au delà bien sûr de l’effet d’exotisme. L’encre et le pinceau, a t’il eu une influence sur le photographe, l’ombre et la lumière, comment voir, acceptons le voyage.

IKKO NARAHARA, né en 1931 dans la Préfecture de Fukuoka, fit ses début vers la fin des années cinquante où il fut Cofondateur de l’agence photographique VIVO avec Shomei Tomatsu, Eikoh Hosoe, Kikuji Kawada, et d’autres.
Il s’est particulièrement intéressé à des personnes en situation d’isolement ou d’enfermement (prisons, enceintes comme celles des monastères des gares, cages d’escalier qui finalement révèlent bien une certaine modernité. Il tenta de créer un “documentaire personnel” et aspira à révéler “un processus qui mette à nu la forme intérieure par la peinture exacte de l’environnement extérieur” selon ces propres mots. En équilibre d’après
Priska Pasquier entre description et abstraction et et objectivité et narration personnelle. Elle parle à son sujet de
picture essays , ce qui illustre bien le caractère abstrait et narratif que ces photos revêtent, dépassant largement le simple documentaire. Et ceci même si l’aspect documentaire sociologique d’un monde en mutation, celui du Japon d’après guerre face à des défis de taille, l’industrie, le nucléaire, ancre son œuvre.

Le photographe fut intéressé par l’occident et sa philosophie, comme le furent beaucoup d’artistes japonais du siècle, sans doute anxieux de se rapprocher de ce qui faisait l’époque et avides de comprendre, d’apprendre, cette philosophie qui imprègne la modernité dont l’occident était un moteur dans les années soixante. Mais cet éloignement, ces séjours à l’étranger et surtout son retour au Japon lui furent bénéfique, retour par une conscience aigu de la particularité japonaise, décalée ou enrichie par un regard renouvelé, comme le fut celui de Soseki en son temps. Comme il le dira lui même au cours d’un voyage dans l’Ouest américain, le japonais ne sait plus très bien si le monde où il voyage est encore la terre ou autre chose. Peut on prendre ces propos comme métaphore d’un temps où l’homme doit faire le grand écart pour s’y retrouver. Le photographe est les deux pieds dans son temps mais tente peut être de l’annihiler (le résoudre ?) en un non temps ?

Le temps y semble arrêté, l’espace se resserrer sur les personnages, délimités ou fondu par l’ombre, le clair obscur, le blanc. La photographie est un tout à l’écoute de vies qui se résument.
Peut être cette perception du temps si japonaise, zen et épuré, est celle d’un temps sans temps. Cette fiction d’un temps arrêté est en tout cas centrale et son travail aux États-Unis dans les années soixante dix exprime cet suspension dans la photographie. Que révèle cette obsession ou cette conscience aigu de quelque chose d’arrêté dans l’image ? Qu’en est il de ce regard et que libère t’il ? Peut on y voir ce vide dont parlent les peintres chinois et qui préexiste à toute image, celle-ci advenant dans ce curieux espace sans fin, matérialisé et pourtant sans consistance, autre que de son regard, fatigue de l’œil ou de l’esprit, étendue nécessaire ? S’agit il comme le dit Priska Pasquer d’une disparition du temps dans un espace mystique ? l’espace joue ici avec ses flous et ces clairs obscur un rôle déterminant comme une enveloppe de la chair des vies. Les prolongeant, les faisant sienne, ou inversement.

Univers poétique et surréaliste, contours humains qui s’estompent ou se fondent, se transforment en un autre espace, comme ce damier de la ville ou l’homme est une pièce, regard perdu qui interroge. Présence qui interroge, univers démesuré. A regarder les œuvres d’Ikko Naharara, une sentiment étrange que la question plastique renvoie à une posture de l’existant qui traverse l’espace et se positionne. Qu’est ce que le regard perçoit et ne perçoit pas, qu’elle en est la traduction en termes picturaux, l’abstraction dont il est question est interrogatif. Cette sensation de questionnement par la photographie est rendue plus forte par le décalage, position entre deux mondes qui révèle par les éléments qui font l’image mais aussi par le grain et la matière, une incertitude existentielle.
De son aveu même, le photographe fait des photos qui ont été coupées en forme circulaire. Il les fait pour retranscrire le centre du cercle rond de l’image projetée par l’objectif :
« Ce que vous voyez dans le viseur d’un appareil photo est seulement – excepté les objectifs circulaires de fisheye – le secteur pointu et carré qui a été coupé du centre du cercle rond de l’image projeté par l’objectif de l’appareil photo. De même, toute l’image que nous voyons avec nos yeux est également projetée comme cercle. Le centre est brusquement au foyer, alors que la périphérie plus indistincte que notre vision, a le travail de percevoir l’espace et le mouvement visuel dans lui. Quand on pousse l’obturateur d’un appareil photo, il me semble probable qu’on emploie son propre corps pour reconstituer la perception périphérique latente entourant le secteur limité dans le viseur. Et c’est à ça que les photographes se réfèrent en tant que “sens spatial”. »

Selected Publications:
Where Time Has Stopped. Tokyo 1967
Espana Grand Tarde. Japan 1969
Japanesque. Tokyo 1970
Celebration of Life. Tokyo 1972
Where Time Has Vanished. Tokyo 1975
Domains (Ôkoku). Tokyo 1978
Venice – Nightscapes. Tokyo 1985
Human Land. Tokyo 1987
Tokyo, the ‘50s. Tokyo 1996
Stateless Land – 1954. Tokyo 2004
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