Hokusai par Teshigahara

Le Hokusai de Teshigahara , un film de 1953, grand cinéaste parle de grand peintre, on y voit toute l’admiration d’un artiste pour un autre, une tentative de servir et d’aller au plus près en approchant la caméra de l’entaille dans le papier pour voir ce qui s’y cache, s’il y reste un peu de vie qui serait resté là, évidemment que oui , il semblerait que la source se soit mise à rejaillir loin de tout calme, sérénité ou excès de politesse japonaise, ça fuse.

Il y a toujours une puissance à vif dans les vies des peintres, je pense à Hogarth et sa vendeuse de crevettes, à Turner partant bougon sur le motif, à vif dans la lumière, les peintre sont exposés comme un corps de grenouille à la vue de tous, cela passe par l’esprit et par la main mais le dessin, le tableau une fois fait, vaut bien le cadavre vibrant et l’ouverte des entrailles de la grenouille. Hokusai rit Hokusai pleure dans ses dessins, il agite le doigt qui dit je suis vivant, et le plumeau et le pinceau et le crayon je ne puis disparaitre, regardez moi faire le pitre , regardez comme la vie est tumultueuse dans mes dessins, ne sont pas des vues zen de l’existence, n’ont rien de convenu , de répété, zen elles le deviendront avec l’age, mais voyez comme aujourd’hui je suis vivant.

finalcover_1Or tout était vivant dans ce Japon d’Edo, tout à la manière d’un homme orchestre, je pense à “parade” de Cocteau et Satie, la musique du shakuhachi, le chant et les voix, les intonations , l’énergie entièrement concentré dans le corps monte poussée vers la tête, dans la langueur et la force rude des scieurs de bois, fougue des foules, des acteurs de Kabuki ou de noh,  des chants à la distance mélancolique du Shakuhachi.
Il faut regarder ce film  comme on regarde une peinture, de manière inquiète et convulsive, comme les milles images d’un film qui condenserait l’œuvre dans une succession espérant dévoiler le mystère. On a rarement l’occasion de rentrer dans les mouvements d’une caméra et quant à la peinture, souvent on ignore qu’elle en a une, et il faut user de subterfuge,  pas à la façon rêveuse de Kurosawa plutôt le tumulte du peintre et de l’époque qui regarde, il peint et la camera  nous le fait songer, apparent aux yeux. Il y a du manga dans l’air, la carpe, on voit par ses yeux, tombe ou remonte le courant.

Hokusai, carpes dans la cascade

Hagiwara Sakutarô et l’esprit moderne

Hagiwara Sakutarô est l’un des poètes maudits de ce Japon en pleine révolution moderniste il est considéré comme le père de la poésie moderne japonaise, celui qui ne fait plus appel à la tradition et s’en remet entièrement à l’esprit moderne. Il représente l’effort furieux de coller à cette fascination pour l’occident moderne et dans son cas avec toute la puissance d’un art sans concession, rompant avec les traditions et ramenant dans ses filets l’esprit de l’avant garde européenne. Comme un filet sorti de l’eau et qui s’égoutte, Il n’a que faire de la tradition japonaise. C’est un art sans repos, constamment  sur le fil du rasoir  qui, dès qu’il s’en éloigne, perd de sa force. Il est l’image même d’un art de la transgression au Japon.


田中恭吉・画、萩原朔太郎著『月に吠える』感情詩社、大正6年 TANAKA Kyōkichi illustration for HAGIWARA Sakutarō’s groundbreaking, first book of poetry Howling at the Moon, published in 1917.  Hagiwara is often considered the “father of modern Japanese poetry.”

田中恭吉・画、萩原朔太郎著『月に吠える』感情詩社、大正6年
 illustration de TANAKA Kyōkichi pour “Hurler à la lune” le premier livre d’HAGIWARA Sakutarō’s  ,publié en 1917.

Un art de rupture né du pressentiment C’est un des poètes majeur de l’ère Taisho, cette époque où le Japon est propulsé dans la modernité par l’influence de l’occident. Les jeunes d’alors ne se découvrent plus dans l’assurance d’une tradition mais dans la fournaise d’un monde qui fonctionne en dépit d’eux et dont ils doivent découvrir les règles. Un autre univers dont ils n’ont qu’une vague notion mais qui est l’astre qui les chauffe et les fascine. Le roman de Pa Kin “Famille” montre bien cet état d’esprit, où la tradition ne peut simplement plus fonctionner et un nouvel oxygène est nécessaire. Il n’y a que le choix de se jeter dans la grande eau et celle ci est déstabilisante, l’abandon de l’ancienne peau traditionnelle est douloureuse, traumatique. L’exemple du poète Soseki  : désirer le monde nouveau d’occident mais le haïr car son monde n’est pas un monde heureux et si loin de l’esprit du Japon. Mais le Japon est aussi une terre de défi, d’effort violent et d’adaptation continuelle à la nouveauté. De nombreux esprits sont chauffés à cet hélium déstabilisant qui détourne de la tradition tout en propulsant les jeunes japonais dans une attitude qui n’est pas la leur. Hagiwara Sakutarô est l’un des poètes les plus extrêmes de cette tendance .


Né le 1er novembre 1886 à Maebashi, au Nord de l’île de Honshû dans une famille aisée, son père est médecin et sa mère descend d’une famille de guerriers (samouraï?). Très tôt il manifeste une santé fragile, tant physique que psychologique et semble être une de ces personnalités à part , tant mélancolique que solitaire, fasciné par les objets d’Europe et sa vie intérieure parait riche et prépondérante. La poésie, le tanka, forme courte du poème commence à l’intéresser et il se met à publier. Il n’est encore qu’un écolier, il n’a que faire de l’école mais y est obligé par la nécessité de la vie sociale et celle d’avoir un métier. Il ne s’y résout pas, ce passage obligé s’oppose tout simplement à ce que son être préfère c’est à dire la poésie et cette vie de l’esprit qui a ses propres règles. La vie poétique et l’art occidental, le monde qu’il devine n’est-il qu’un miroir aux alouettes ?  Chaos scolaire qui montre que de tous les projets de vie il n’y a que celui de l’art qui lui convienne. S’émanciper et apprendre de l’étranger, lire les philosophes, Nietzsche, Poe, Dostoïevski. devine l’esprit de l’époque et les grands thèmes. La création poétique va s’éprendre de ce terreau là, liberté et fascination intellectuelle pour les créateurs extraordinaires qu’il connait mais aussi prépondérance du réel et du concret, réalité humaine psychologique et sociale sont un socle. La littérature japonaise même si elle est dans une dynamique de transformation en reste très éloignée et les questions lui sont posées de très loin.

Les trois corbeaux sur la bannière de Hakushû.

Les trois corbeaux sur la bannière de Hakushû.

En 1911 il s’installe à Tokyo. Il se nourrit d’art et de musique, surtout l’occidental, apprend la mandoline et est en révolte contre une société tentée par l’extrémisme. On le voit en rupture et son rêve est de partir pour l’Europe. Puis rapidement il fait la rencontre de gens qui seront ses amis en poésie : Kitahara Hakushû, Murô Saisei, Yamamura Bochô avec qui il se retrouve, envoi ses poèmes aux revues et crée le groupe le Cercle poétique de la sirène. A partir de là il lui parait évident  qu’il lui faut se mettre sérieusement à la composition poétique e aller jusqu’au bout du chemin.

Les groupes poétiques, les revues, les collaborations et les amitiés vont se retrouver prépondérantes, on n’est pas trop de plusieurs pour faire naitre ce qui n’a pas encore d’existence et ne se retrouve nulles part autour d’eux. La vie dont ils parlent est à l’état d’énergie qui fuse, et il leur faut la capter. La naissance de la revue Kanjo (Sentiment) avec Muro Saisei va donner corps à cette envie.

112867_611324La mélancolie tente la forme libre Il est aussi cet être tourmenté et complexe, et les questionnements moraux, les tourments religieux, le ferment musical ou poétique sont au cœur de ses interrogations ainsi peut être que dans sa santé fragile et précaire, son goût pour la solitude et son tempérament mélancolique. Les philosophes nihilistes l’ont nourrit, les écrivains qui puisent dans la vie sordide et non celle rêvée des prosateurs et faiseurs de haiku, la maladie, la folie, la pauvreté sont des mots qui ont tout leur sens. Mais la nostalgie et la mélancolie, comme pour bon nombre d’écrivains japonais de sa génération ou de ceux qui vont suivre, sont toujours là, car l’époque est de rupture et les hommes tiraillés entre plusieurs bords, même à leur corps défendant. 112863_611300

Mais la modernité c’est aussi l’insatisfaction, le décalage d’avec l’harmonie et le poussoir du langage par le corps, le monde, l’esprit et la maladie. Tout cela à la fois va pousser ce qu’il est vers ce qui s’impose à lui et sans qu’il puisse se mouler, n’ayant d’autre choix, sans se mentir que de s’inventer, inventer, aller au fond d’une douleur, prémices de la mort et de l’hécatombe, de l’obstination à survivre, à se coller à ce qui est, demeure du chaos et du présent qui se pousse devant lui.

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Couverture de “Aoneko”

S’éloigner des formes codifiées et versifiées, accueillir le langage de tous les jours,  les mots populaires, faire miroiter la vie elle même dans ce qu’elle a de moins esthétique même si pourtant, la musique et le lyrisme sont  toujours présent. Difficile paradoxe de l’importance exclusive de la musique et du monde, chaun s’excluant l’autre, parvenant à une victoire dans la défaite de chacun. Faire vivre le style libre, une prose poétique qui ne soit plus ampoulée, suivre l’exemple des poètes européens qui poussent toujours plus loin ce paradoxe. Et si la recherche d’une nouvelle direction poétique et d’un langage moderne est bien entière, sa poésie sera nourrie de l’entre-jeu et des allers retours entre ces différents éléments, la vie réelle telle qu’elle est en lui, sentiments angoisses et pensées fortes poussant la réalité de l’existence dans sa forme quotidienne nourrit les textes qui en créent de nouveaux. Tous ces éléments se retrouvent liés, comme ligués pour faire sortir la poésie d’une diction convenue qu’elle ne peut plus être. Elle n’est pas non plus dans la réflexion et le projet intellectuel et le vouloir dire. Elle est dans la vie elle même,  physique ou morale. Dés lors ces éléments biographique et le parcours qu’ils induisent deviennent l’œuvre lorsqu’ils deviennent poésie.

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Tsuki ni hueru, “hurler à la lune”, son premier recueil parait en 1917. Il frappe par la nouveauté  et la naissance d’une nouvelle esthétique dans la littérature japonaise. Les poèmes du livre sont écrits avec des mots simples de la langue parlée, il parlent de la vie, mêlant pensées complexes et peurs et angoisses. Ce qui est de la vie de l’individu est rendu à la poésie dans une forme libre, non corseté, sans détour par une forme distanciée, au contraire rendu proche de l’expérience et ceci est d’une grande nouveauté. Les peurs et les angoisses si profondément ancrées dans la personnalités continuent d’exercer un poids sur la condition mentale et spirituelle. Freud n’est pas loin et le sexe et l’Eros habitent certaines pages, malheureusement coupées par la censure.  Donner au langage populaire ce poids et  cet élévation poétique, voila qui n’avait jamais été fait.  Mais la leçon ne réside pas uniquement dans une transposition lexicale, c’est tout une inspiration, un souffle, un style qui est populaire et témoigne d’une telle richesse. La poésie et la littérature coulent de façon fluide avec la force d’un torrent. L’imagerie poétique est renforcée aussi par une égale puissance graphique grâce au travail d’Onchi Koshiro, le peintre qui a su insuffler autant de modernité dans ce pavé dans la mare qu’était ce livre, hurler à la lune , voila qui est dit !

D’autres publications suivront, “le chat bleu” (Aoneko)L’Île de glace” (Hyōtō ) qui poursuivent sa vision de la poésie et de la littérature, continuant à créer cette poésie moderne japonaise, d’autres œuvres, des aphorismes, de la prose, des essais jusqu’à sa mort en 1942.

pour aller plus loin:

– Site de référence sur poètejaponais.fr , un site très complet, bien documenté qui offre de nombreuses informations sur la vie et l’oeuvre de Hagiwara Sakutakô
Sur google books le très beau livre de Makoto Ueda Modern Japanese Poets and the Nature of Literature
sur enote (essays)
Sur Asymptote, une présentation de Hagiwara par son traducteur Hiroaki Sato
Sur penamerica

des éléments biographiques mais aussi des extraits de “Hurler à la lune” en anglais
sur pip project
sur Jérôme Rothenberg’s poem & poetics et Jacket2
sur poem hunter 

ainsi que Deux poèmes traduits en français
Bibliographie (en anglais)
the iceland”
Cat’ townHowling at the moon

Le Japon comme une fiction

01c7ad781fe8f4a40c056035a370e4422df7e5ef00Qu’y a t’il de plus dans ce Japon, multiforme, du passé, du présent, visuel, sensible, intellectuel ? N’y a t’il pas quelque danger à se laisser enfermer par un sujet qui risque de se scléroser . C’est justement que le Japon et les traits qui sont peints autour de ce cœur, est multiforme à l’égal du monde, a su se rendre compte que le monde soigneusement codifié dans l’archipel, si divers et cohérent, le dépassait. Le Japon comme une exception retient l’attention de tous et est un point de référence pour ceux qui n’y sont pas attachés. Ainsi le papillon, le noir qui faisait l’amour sans se fatiguer à Eroshima, du poète qui était de nul lieu, de l’écrivain qui relate les vies des enfances de tous les bords.

Tous  les fils du monde sont reliés entre eux et se retrouvent dans l’archipel, sous une mimique caricaturale digne d’un acteur de kabuki, les bureaux des gratte ciels sont les mêmes qu’à Paris et les fils électriques ne cessent d”accumuler les possibilités des paysages urbains, comme ailleurs et plus qu’ailleurs il y aurait un beau besoin d’un coup de gomme et ils courent à faire  oublier ces jardins et petites rues intimistes, vertes et couleur bois de Nara. Qu’à la réalité de tellement électrifiée, pourquoi courent ils en l’air alors qu’l y a tant de recoins, de masures cabossées et de portes coulissantes, de boutique grasses où l’on vend des nouilles?

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Ce sourire et cette distance raccourcie, ce nord fraichissant et à la merci d’un sud, des typhons et des bourrasques de neige, ce vert consistant et ces côtes découpées, que viendrai-je chercher ici et pourquoi le monde ne me suffit il pas? Sur cette pointe qui oublie la mer, les nouvelles du monde sont nombreuses, joyeuses cette insistance que le monde a de remplir jusqu’à l’écœurement la carte et les vies d’ici bas, le Japon est envahi de l’intérieur par la multiplication, Y a t’il un chemin qui débouche sur une baie, passage vers les autres iles de l’archipel? Le temps n’est  que l’espace que l’on se ménage par le nœud que l’on fait à son vêtement, le sablier dépend aussi de la nécessaire cordialité, l’attention que l’on porte aux autres et qu’ils exigent. Il ne s’agit pas d’effacement, n’y a t’il aucun recul, une distanciation qui dise que le monde n’est qu’un état d’esprit, que l’on peut adapter le noeud que l’on fait au temps à son vouloir et qu’à s’agiter il est possible  de ne plus croire aussi fermement à l’existence. Le sourire est aussi une enclave possible.  Pas un seule façon d’être au monde et dans le corps de celui ci, tirer la couverture à soi. C’est une fiction pacifique dans laquelle on ne croit guère qu’amusé et comme une possibilité, on la fait dévier à qui mieux mieux, hors piste du monde dans un espace délimité où il est bon de faire des glissades, tout n’étant pas lié dans une création à l’égal d’une soupe mystifiante mais un jeu de rôle, ronde où l’on peut rentrer et sortir à volonté, Le Japon est-ce ce lieu, de nul lieu et du Japon disait Dupin ? N’est ce pas plutôt jouir de l’hypothèse la plus réjouissante et ne pas accepter de quitter la partie que lorsque l’on est sur d’avoir bien perdu, la face tout au moins, le corps n’ayant que moins d’importance.

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De sorte que parler du Japon c’est parler du monde, mais d’un promontoire que l’on a choisi pour son confort, sa beauté et sa négation même, il sera peut être un moment où il sera possible de dénoncer l’entreprise comme une mystification et disparaitre dans la mer au son du shakuhachi.

Des pages pour le peintre aux doigts d’encre

“J’ai toujours voulu pouvoir me promener dans une image comme dans la vraie vie, les couleurs, le bruit, et les allusions aux lieux, au passé, à l’histoire, à la littérature. La mémoire n’est pas seulement visuelle, elle se souvient aussi des sons et des odeurs, du gout des choses et des sensations, des gestes et du toucher, de la texture de ce qui a été manipulé, palpé, caressé, que ce soit sable, chair ou papier … Comment dire tout cela d’un seul trait d’encre”.

” Car ne pas savoir les dessiner, c’était les laisser mourir une deuxième fois, alors que moi je voulais les faire revivre par la fluidité de l’encre “

Hokusai au doigts d’encre, Bruno Smolarz, Arléa 2011

#lectures , ici tenter de laisser mes lectures faire des signes, pas de critiques ni de recension, je n’aime pas ça, mais quelques signes et plus, si la plume se met à courir. arton839

Je n’aime pas tellement les voix étrangères lorsqu’elles parle d’un sujet où elles doivent traverser une frontière incertaine, là Hokusai ou le Japon d’Edo, il y a souvent un coté apprêté, étudié et laborieux, sauf si l’écrivain est un amoureux, qu’il se déplace réellement pour rencontrer l’objet de son amour. Wenceslau de Moraes, les lézardes et les calligraphies des “portraits de Tokyo” de Michael Ferrier, la voix de Donald Richie font exception et parfois les étrangers parviennent à capter quelque chose de ce qui les fascine. Même si je préfère écouter les voix et les saisir au vol, le livre sur Hokusai est un beau voyage.

Dans un style simple et direct, comme quelqu’un qui sortirai dans la rue et se mêlerai à la vie qui coure, l’auteur ouvre la bouche à la voix d’Hokusai qui, jeune garçon, entame une course contre la montre et peint jusqu’à la mort, joyeux de découvrir ce qui lui rend la vie si chère et qui s’en empare. Il y parle du dessin, de la vie qu’il veut capter, de son envie d’être vrai et de ne pas se satisfaire de peu, sa détestation de la copie et puis il faut relever le défi.

fébrile et intense nous sommes dans les ateliers d’Edo de cette époque (1760 et au delà) près de la Sumida et dans les quartiers à l’est du fleuve et c’est là que nous commençons à suivre le peintre.

Hokusai, le mont Fuji  aux cerisers

Hokusai, le mont Fuji aux cerisers

Ce qui rend ce livre si fort, ce sont ces réflexions sur le dessin et la peinture. La peinture et le dessin ne laissent pas Hokusai tranquille et ses réflexions   ont le timbre de ce qu’il devait chercher lorsqu’il levait le pinceau, ou le rabaissait, pris dans ces pensées face au décalage entre l’art et la vie, à son exigence de vie, non de ressemblance, et son désir, et que cela jaillit.

Il y a comme un écho dans l’art du Japon, de ce présent et de ce qui n’est pas peint mais est le sujet. Ne pas peindre les formes mais l’essence de ce qui est, ce qui ne se voit pas. La sensibilité japonaise lorsqu’elle est inventive ne se contente pas d’appliquer des recettes à l’art oubliant de le rendre vif. Il faut peindre la vie. Utamaro, puis Hokusai, les grands du Japon n’auront cessé de se démarquer pour rendre les dessins plus vivants, un portrait comme s’il bougeait, un poisson comme s’il nous glissait dans les mains.  Faire en sorte que le dessin d’un dragon se réveille un jour dragon.

On est pris par la vie trépidante du grand peintre, qui a le temps de devenir grand, pour qui la vérité et la liberté est toujours plus importante que la gloire. Une multitude de personnages et les échoppes, les tournants de l’existence, il n’y a pas d temps à perdre, c’est cela Edo.   on y entend des musiques, des paroles fortes, des parfums et des gouts pendant que la vie artistique et intellectuelle se fait toujours sentir et est partie intégrante de la vie de la ville. C’est une des grandes réussites de ce livre, derrière ce style simple et direct qui ne cède pas à l’érudition mais nous entraine à sa suite, nous sommes dans le présent du peintre.

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Hokusai, tigre dans la neige

Un article du monde (René de Ceccatty)
Une présentation de l’écrivain géographe pour le prix de la fondation Jan Michalski, pour lécriture et la littérature

sur France culture

La hutte de Rengetsu

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la hutte de et par Rengetsu, (c) Rengetsu et Bachman Eckenstein

Rengetsu a peint cette hutte, associé aux maisons de thé de la région de Kyoto où elle venait se reposer des  demandes incessantes qu’elle recevait. Est-ce là qu’elle venait travailler la terre des potiers, calligraphier et être dans ses moments de paix ? Rengetsu est une de celles qui ont aimé s’isoler pour donner le meilleurs de soi, contemplation et tranquillité, apaisement.

Le temps qui s’assouplit cesse d’être tendu, la nature toujours à portée de main et le silence. La matière même de ce qui est la nature, les lumières profondes et la calme sérénité des rencontres. Je pense au film de Naomi Kawase,  “Moe no suzaku” où l’on voit cette sérénité apparente et la bienveillance dans les relations.
four hutsPeut être, ce même gout pour le cru (comme opposé au cuit) que les japonais aiment tant, ces bols soumis à la pression de l’écroulement contre le feu ou comme taillés dans la roche sont la plus belle expression de cet état d’instabilité dont la cérémonie du thé veut approcher, allusivement.
Jardins qui sont un chant minéral toujours proche de la résorption, ordre qui est comme un renoncement à la luxuriance et ce goût pour les mousses et les sous-bois, charme de l’ombre qui oblige à ne pas prématurément s’enflammer dans trop de lumière, à aimer dans une intensité profonde et non démonstrative, proche d’un sentiment concentré.

Tout cela sous un fard et une élégance qui n’est pas le cru, qui n’est peut être que l’allusion au désir de beau qui ne peut pas être atteint, renoncement de celui qui ne voit de loin et se tait pour le gouter, elle fait partie de ces excentriques à qui la hutte suffit.

Otagaki Rengetsu (1791–1875) femme, poète et céramiste

 L’art au japon est à son summum lorsqu’il se fait idéal de simplicité et est comme un sanctuaire d’où se protéger des assauts du siècle et de la vie. Car si le monde est ce déferlement, il existe en soi et dans des recoins de l’univers les ressources pour apaiser, se mettre au diapason d’un rythme harmonieux, cela était l’idéal d’un art traditionnel mais la poète sait le trouver en soi, au hasard des rencontres et dans sa vie elle-même.

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Les années de l’abandon et de la perte Enfant illégitime d’une geisha et d’un courtisan, Otagaki Rengetsu du nom de Nobu fut envoyée à l’age de 8ans au château de Tamba-Kameyama pour y servir et y recevoir une éducation d’une dame d’honneur , elle y apprit les  belles manières et les arts traditionnels, calligraphie et poésie waka, connaissances que l’on attendait des enfants de samouraï. On dit qu’elle était d’une grande beauté. Elle se maria mais sa vie familiale fut malheureuse et elle perdit 5 enfants et deux maris. Ce fut une vie de chagrin, de deuils  et de douleurs. Dans ces poèmes il  est beaucoup question de cette perte et de la mélancolie qui s’ensuit. Lorsqu’elle perdit son second mari et deux de ses enfant, elle décida de se couper les cheveux et de renoncer au monde pour suivre Bouddha.

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Couper ses cheveux ou la poésie pour vivre Elle fut initiée au temple de Chion’in et devint nonne dans la secte de la terre pure, Rengetsu est son nom bouddhiste. Lune de lotus (ren/蓮)  (getsu/月), attachée au temple de Chion’in n’avait cependant pas de fonction au sein de l’organisation religieuse et vécu avec son père, moine lui aussi et qui avait les moyens de la faire vivre. Mais les tragédies ne devaient pas s’arrêter et elle perdit sa petite fille de sept ans et un petit garçon de cinq, la laissant avec son père adoptif qui devait bientôt mourir.

0649a78491f5622256f6bf0883257a91La mort de son père la laissa dépourvu et pour vivre, elle se mit à fabriquer des bols où elle inscrivait ses poèmes à l’encre ou gravés dans la terre. Elle réalisait aussi beaucoup de calligraphie, illustrées ou non, certaines étant de simples petits bouts de papier que l’on appelait  tanzaku ou de petits carrés appelés  shikish. Elle avait apprit la poterie avec des professeurs amateurs et ses œuvres n’avaient pas la perfection et la sophistication des potiers de métier. Néanmoins ressortaient du lot parce qu’elle y mettait tout son cœur et aussi qu’elle les travaillait comme des pièces uniques, leur incorporant, au pinceau ou bien gravé dans l’argile, ses poèmes qui avaient la fraicheur de la sincérité. Ainsi, en poète abritée par le sens religieux et profane, son talent pour la poésie, son sens de la beauté et la densité de sa vie de femme, toutes ses qualités réunies en une seule sont ce qui fait le prix de ses œuvres. Elle fut suffisamment apprécié pour lui permettre d’en vivre et on la voit dans ses poèmes s’en aller au marché, se mêler aux marchands, s’excusant du peu de son art, vendre ses poésies sur céramique mais aussi toute sorte d’ustensiles liés à la cérémonie du thé.

Artist : Ôtagaki RENGETSU (Japan, b.1791, d.1875)  Title :  Date : 19th century Medium Description: stoneware with underglaze blue and black pigment on white slip Dimensions :  Credit Line : Roger Pietri Fund 2005 Image Credit Line :  Accession Number : 350.2005

Ôtagaki RENGETSU (Japan, b.1791, d.1875) 19eme siècle

Des poteries céramiques pour la cérémonie du thé qu’elle réalisait à la main, bols et ustensiles, bouteilles de saké étaient fortement prisés par les maitres de thé et les amateurs. Bien qu’il soit difficile de juger de la qualité de ses premières œuvres qui ne nous sont par parvenues, les poteries les plus récentes que nous possédons datent de l’époque de sa maturité où elle était dans la pleine possession de ses moyens artistiques et qui attiraient les collectionneurs. L’esthétique de la cérémonie du thé qui suppose que la beauté a besoin de la main d’un maitre pour apparaitre est donc fait de la pauvreté et l’absence d’intention un élément primordial. Peut être la beauté insufflée et l’absence de perfection technique la rendait inestimable à leurs yeux. Le beau réside aussi dans le cru et les craquelures de la vie, l’imperfection qui permet à  l’existence de se manifester et d’être dépassé ou sublimé. Celui qui sait voir la beauté sait l’y mettre, d’où le formidable sens qui se dégage des créations japonaises de ces écoles. 7b0585264508acd31d24be4884a527cc

De fait il y a un charme dans ses céramiques qui doit à la naïveté ou plutôt à la fraicheur qui tranche avec ce que l’on pourrait attendre de désillusion après toutes ses épreuves, ce qui aurait pu l’abimer à jamais, remonte à la surface de son art et Rengetsu, en artiste qui refuse de perdre son souffle, peut être aussi en faisant le choix du bouddhisme, semble refuser de perdre le sens même de la vie qui retrouve une beauté dans cette deuxième phase de sa vie. Elle insuffle une magie simple et essentielle, transformée dans l’esthétique, qui n’est pas la perfection mais permet à l’âme de se manifester dans toutes les expressions, aussi fines et délicates que le sentiment qui les anime, l’essentiel d’une vie qui va s’épurant ayant tout perdu. Est-ce cette modernité à l’œuvre dans la conception japonaise qui nous la rend si proche? A nous et à ses contemporains car elle fut prisée de son vivant, les amateurs devaient aussi rechercher cette qualité essentielle, qui nous fait paraitre à l’écoute de ce qui est humain dans une beauté paradoxale. Tant qu’elle du même s’isoler pour pouvoir travailler. Elle se réfugiait dans les montagnes de la région de Kyoto qui s’y prêtait bien.

La calligraphie La calligraphie de Rengetsu à ses débuts n’avait rien d’extraordinaire et ne se dénotait pas du reste des calligraphes, rien ne la différenciait. Cependant elle développa un art du pinceau particulier qui la rendait reconnaissable entre mille et bien que l’on dénote pas d’influences, elle est pour ainsi dire unique. Dès le début, elle a incisé ses poèmes dans de l’argile humide et c’est pourquoi sa main est si ferme et puissante, son placement de l’écriture dans l’espace si net et assuré. De plus les caractères doivent être propres et lisibles, toutes ses qualités se retrouvent dans sa calligraphie et lui donne ce caractère unique, irremplaçable.

Ainsi ce fut une période où elle apprit à faire de la céramique et à la vendre, l’urgence lui permettant de comprendre ce en quoi elle était remarquable et pouvait espérer en vivre, elle apprit à peindre, étudia les principaux genres de poésie, affina son art de la calligraphie et surtout établit des contact avec d’autres artistes, personnalités littéraires, intellectuelles et politiques de l’époque. Ce furent ses années de formation.

C’est là également qu’elle apprit la peinture Shijo, en particulier auprès du peintre Matsumura Keibun avec qui l’on dit qu’elle avait une liaison, ce qui, à l’époque n’était pas scandaleux pour une ecclésiastique d’avoir une vie amoureuse où les vœux de célibat n’étaient pas respectés. Rengetsu semble avoir été en relation avec le milieu de la peinture Shijo et a connu et travaillé avec des peintres tels Nakajima Raisho (1796-1871), Yokoyama Seiki (1792-1864), Kishi Renzan (1804-1859) Mori Kansai, (1814-1894), et Shiokawa Bunrin (1808-1877) ainsi que Reizei Tamechika (1823-1864), qui fut un des peintres majeur du renouveau du style Yamato-e. La vie de la nonne Rengetsu ne fut pas retirée mais au contraire très exposée et elle multipliait les rencontres avec des gens de tout horizon, ecclésiastiques, artistes et gens de toute profession, et le mouvement semble avoir été une constante de cette période de la vie de Rengetsu.  Car la vie est mouvement et elle tirait sa force de tout ce qu’elle rencontrait, rencontres d’idées et vie de tous les jours glanée sur les chemins, lle était sans être errante, très à l’écoute du monde, ne se retirant que pour travailler. Ainsi elle est une véritable figure de la vie intellectuelle de son époque.

164420De plus il ne faudrait pas oublier et cela est évident à lire, toucher ou regarder ce que ses mains produisent, que cette âme, spiritualité et sensibilité, ayant souffert, avait fait tout un trajet dans son intelligence des choses et de l’existence. Tout cela transparait dans ses œuvres et dans sa personne, d’une grande beauté et sérénité. Son travail est le fruit de cette maturation et d’une aspiration à l’élévation, se trouvant dans une simplicité dépassant l’élégance pour en faire une exigence toute humaine du sublime qui finit par devenir ordinaire. D’ailleurs les motifs qu’elle peint sont ordinaires, on y voit des branches de pin, un papillon, toutes sortes d’herbe, une théière, mais peintes d’une telle façon que la sérénité empreinte des choses du monde nous atteint et qu’on la désire. Cela est peint d’une façon précise mais simple, chaque chose s’y reconnait mais sans s’appesantir, l’essentiel étant ailleurs, on n’y constate pas de manque et la forme semble voler, libérée du présent et de la lourdeur, pesanteur qui y mettrait trop d’importance, en poète amoureuse de la vie, le papillon est  bien un papillon que nous avons pu voir, frôler quelques minutes auparavant mais qui semble nous entrainer ailleurs. Les japonais de cette époque devaient percevoir cet idéal simple mais sans ostentation.  Dépouillement et humanité, si proche encore de la vie de la femme qu’elle fut mais comme apaisée, arrivée à une autre coloration, non de renoncement mais de complicité, peut être.

Cette attention aux choses du présent, par l’écoute de sa sensibilité se retrouvera dans les rencontres et les voyages qu’elle fera, faisant de sa poésie un fait du présent et non d’une mélancolie lointaine et maladive. Au contraire, Rengetsu nous apparait dans la fraicheur et la générosité non feinte, dans la force d’une sensation douce et c’est sans doute son attrait principal. Mais elle devait aussi mener une vie beaucoup plus calme et vers l’age de 75 ans un abbé lui offrit l’occasion d’un sanctuaire et c’est là où elle vécu jusqu’à la fin de ses jours continuant son art et à être appréciée pour la délicatesse de ses expressions.

pour aller plus loin

coverSon oeuvre :
sur pinterest
sa poésie
Otagaki Rengetsu
Rengetsu circle

éléments biographiques
chez Bachman Eckenstein
sur Zen women

Dans les musées :
L’exposition black robe, white mist au NGA
Rengetsu collections
Morikami museum
Asia pacific museum

Bibliographie

Black robe, white mist, National Gallery of Australia
Moon lotus, the poetry of Regentsu, White Pine Press (April 1, 2005)
Rengetsu: Life and Poetry of Lotus Moon, John Stevens  2014
Atagaki-Rengetsu, Poetry and Artwork from a-Rustic Hut, Rengetsu circle

traces des fourmis dans la fourmilière

[Gu Gan 5] Le monde est écrit ou plutôt s’écrit comme les traces des fourmis dans la fourmilière. Il m’est extrêmement difficile de comprendre ce qui se joue dans cet ensemble complexe qui est le texte, l’empire, le collectif. De la même façon, qu’est ce que cette carte, que sont ces vides et qu’y inscrit t’on, jusqu’à quand va t’on inscrire ces faits et gestes, ses noms dans la cellule et le décompte des jours, ces annotation dans les recoins au fur et à mesure que progresse le voyage, que meurent les équipages et que passent les tempêtes. La carte. Qu’est ce que cela implique ? Si le monde est un livre ou cette feuille qui se déroule et se couvre de caractères, surgissant des uns des autres, des conjonctions et de la succession des signes, de la ressemblance et de l’équivalence, de la différence et la contradiction, d’un espace libre ou du grain  du papier, papier artisanal proche du végétal ou papier journal. La papier et le tracé des encres reprend toutes les formes et puis il y a un moment où surgissant du vide et de l’indistinction une pensée gestuelle établit son propre vide et organise l’espace autour d’elle jusqu’à devenir expression de la créature vivante. Le sens obéit à cet ensemble de subordination, à la règle du propos qui domine le papier, la cacophonie, la tolérance à toutes voix égale se tait au moins pour un temps.

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Cartographie ou carte au trésor

[Gu Gan4] Entre l’élocution verbale et la formulation graphique l’écriture sous-tend une plasticité

La calligraphie n’est qu’un aspect de la reformulation graphique de l’univers, non visible, non sensible, non du sens mais de tout cela à la fois. La progression entre les premières nécessités graphiques, creusées ou gravés sur os ou pierre et l’utilisation savante de cet alphabet monde, servant tout autant de medium que d’encyclopédie et carte du sens. Mais à force d’avoir le nez collé sur la pierre à encrer et le papier, tout à l’attention de l’esprit oriental, Chine et Japon prirent une conscience tardive de l’air apporté par la fenêtre ouverte et la rencontre, le décalage, la déflagration nécessaire à ce qui est sous-jacent dans les gestes.

(c) Gu Gan
(c) Gu Gan

 Aujourd’hui il semble évident que le sens file sur le mot et l’image, l’un apportant à l’autre ce qui lui manque, développant le sens, pensée mais aussi divination, ce que l’écriture écrit sans le formuler explicitement mais le sous-entendant. Peintre ou scribe, au delà de la fascination pour l’idéogramme, de la force concentrée et expressive de l’image, celui qui a la charge de tracer les caractère, de retransmettre dans une écriture collective ce qui traverse son bras, des doigts jusqu’aux poils du pinceau, l’énergie qui transite et dont il est le dépositaire. Au delà du caractère et de la suite de mots sans fin qu’une simple feuille peut rendre et porter, que contient la succession infinie, foisonnante et répétée de l’écriture, ombre portée sans distance de la suite des expériences et sans qu’un recul salutaire, cela est la poésie, des devenirs humains. Un livre est refermé, l’attention portée à l’écriture, comme des traces de mouche, chaque trace plus importante que la précédente, les pages d’un agenda on pourrait en faire la carte, le dessin nous en soufflait l’idée, est-ce pour cela que les deux étaient accolés, si proche dans la conception et compris d’un seul tenant.

Mais le mots n’a de sens que dans un paysage, ramené à l’écriture et hors de la description nous avons une cartographie de mot, un ensemble cohérent de masse et de déterminisme, strates et collages, couches de sens et d’expérience, surfaces où l’on détruit la membrane si l’on gratte. Les tailles réciproques transmise dans un rendu graphique qui respecte chacun et rend compte des éloignements, Klee dans ces dessins l’avait envisagé, sens peut être mais consigné, en des mots et des formes, couleurs et traits implicites.Tout est mis en relation en tenant compte des coordinations, subjugations et détermination. Les mots sont ramenés dans un dessin complexe qui est schéma ou texte, ou le sens ouvre une deuxième lecture , une troisième, jusqu’à faire oublier toute lecture et se propulser dans un mouvement d’osselet. Comprendre est arrêter, le peintre clairement a voulu que la vue prolonge le mouvement indéfiniment sans qu’il n’y ait d’arrêt ni de compréhension. Toute la modernité est là , accepter que le mouvement aille sans sens bousculer les portes et rouler, se générant elle même au fur de ses sauts.

(c) Gu Gan,  treasure door

(c) Gu Gan, treasure door

La peinture et particulièrement la chinoise s’ancre dans ce corpus. Même dans un seul caractère il y a des correspondance qui assurent la cohérence, est ce l’art du lettré, la soumission à une autorité et une conscience que l’ensemble est plus grand que soi, tout est affaire de perspective intérieure, il ne semble pas y avoir de ligne de fuite. C’est Shanghai aujourd’hui.  La peinture ne cherche pas à faire oublier les soutènements du dessin ni  les éléments qui le constituent tels que traits, tracé, lavis, tache, annotations etc. Contrairement à l’européenne qui gomme les tentatives à la recherche d’un final majestueux, l’art de l’encre est immédiat, et se livrant  immédiatement prend en compte le temps, l’incorpore et  se construit dans cette pratique de l'”en cours”, de l’inachèvement” jusqu’à rendre compte de la possibilité de cette carte-dessin, la” carte au trésor”, le court récit de Mo Yan est ce dialogue où il est impossible de démêler le picaresque du compte-rendu social qui est  rapport et correspondance filmique, dialogue de strates où aucun des mots ne rendent l’inachèvement d’un tracé qui garde la marque de son devenir dans le présent.

écriture du vivant

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(c) Gu Gan

[Gu Gan 3] C’est souvent dans ce croisement fructueux, dans cette germination que la nouveauté et le changement naissent. Au delà du concept et du canevas inconscient, ce qui reste de la calligraphie semble se diluer dans le plus vaste écrit, moins dense qu le caractère Roi,   tenir à la fois de l’écriture qui de nos jour a colonisé tous les aspect de notre vision, s’emparant de l’image, du calcul et de tout ce qui est forme d’expression. Elle à perdu cette royauté du caractère qui était proche du geste et mettait l’accent sur l’expression. Aujourd’hui tout se mêle et s’entrecroise pour former un rapport au réel complexe ou la chose écrite est diluée mais se retrouve dans tous les secteurs de ce que nous apercevons, sommes l’objet, côtoyons dans ce monde fortement diversifié, rendue au divers et qui ne témoignent plus d’un geste qui l’éclaire mais est éclairée de toute part, tout vient écrire ce que nous pensons dans des temps différents. Nus rejouons ce grand terrains d’interactions et de causalités dont nous sommes un éléments. Comme un jeu, comme une nécessité de se repérer dans ce qui est devenu un immense schéma dynamique et dont nous devons comprendre l’écriture qui s’inscrit par, dans nos corps, mentalement aussi*.

Sur le sceau un dessin, pictogramme ou graffiti, raccourci fait de rapidité où l’on ne fige plus le réel qui va trop vite et risque d’être dépassé, l’enveloppe de l’homme ne “signe” plus mais laisse une trace qui manque de distance, de sens abstrait tel que le caractère millénaire avait fini par le faire, mais le sceau seul serait bien pauvre, il faut y adjoindre cette masse d’encre diluée qui serait l’héritage de la calligraphie mais qui a perdu son sens dur de signification pour gagner cette densité moléculaire de la matière, elle même mouvante et dynamique et son manque de précision indique cela même, le papier et l’élément eau gage de la vitesse et progression physique de l’instantané capté par le réel qui parvient à se figer. Les éléments sont mis en concurrence, juxtaposé, les temps et la taille , les couleurs et les rapports de force que cela induit, les couches multiples de ces éléments même constituent comme une cartographie, écriture elle aussi du réel, plus ou moins chargée en matière, plus ou moins foncé, plu moins diluées selon leur degré d’effleurement au réel. L’écriture plus traditionnel, ce corpus de lettres ou de caractères faisant phrase, se liant dans un rythme illisible mais suggérant le texte avec les description, références et causalité, pattes de mouche du réel, traces de pas de l’homme qui nous en fait part, comme des embarcations, des moyens de transport, des embrasures des pas. Maintenant, le geste du calligraphe est partout, il attaque de chaque coté, attentif à transcrire cette documentation, se livrant au mimiques cellulaires d’un réel abstrait ou biologique, maniant l’eau jusqu’à la transparence, dessinant le sceau, laissant les taches de couleur rythmer le dessin entier, recréant le caractère dans la structure même de l’ensemble et puis n’est il pas surtout là ou il établit un mouvement en pointillé , héritier du “dripping” et témoignant d’un monde en mouvement, inarretable dont il se fait non plus le scribe mais le démiurge.

gugan_085_m_cropC’est souvent lorsque, pris de court nous sommes confronté à la vitesse du traumatisme, de l’étranger et du génie que nous réalisons ce qui est sous-jacent à notre expression personnelle, un terreau commun dont les lignes de force nous dépassent.  Ne dirait t’on pas, nous qui sommes les enfants de ce siècle où la science nous rend sensible à cette dimension, aux lunettes de notre monde émergeant, la calligraphie chinoise avec tous ces apports universels peut nous apparaitre comme une carte, vision de l’infiniment petit à travers les lentilles d’un microscope ou bien signe d’une écriture biologiquement ou universellement recevable.

Cartographie et construction du livres se retrouve dans l’élaboration de l’image. Mots et livres, accostent dans les replis de l’expérience et de la quête de sens. Dans ce collectif embarqué, le paysage, l’écriture centre de l’individuel, le fourmillement et l’individuation est il une carte, est il un livre, un journal de bord, une gazette ou un manuscrit qui se déroule lâchant sous la main, les mains aussi nombreuses que celle d’aujourd’hui, branchées à leur terminaux numériques? S’agit il d’en faire l’histoire ou de collecter, de repérer sous l’amoncellement des graffitis comme un itinéraire ou une direction. La cartographie rend t’elle compte de la redistribution d’un monde devenu étranger et que l’on doive arpenter, mesurer, la vie humaine dans la reconnaissance du papier. Y a t’il de cela dans cette peinture, comme dans celle mythique de Zao avant le grand virage, ces personnages et bâtons rompus écris dans ces immenses énergies abstraites, débarrassées, à la manière d’immense calligraphie de corps, du rappel trop pressant à une lecture linéaire, précise et documentée de l’histoire. Un immense effort esthétique comme pour fondre l’accidentel dans un dépassement de la beauté.

China girl among other things

suite photographique chinoise (c) auteur inconnu

L’histoire ne se déroule pas forcément en Chine et si la manière est datée , aux environ de 2000 , un petit effort  ferait facilement remonter vers l’époque du jazz à Shanghai et celle plus lointaine des grandes migrations vers  San Francisco, Sydney, Taipei , elle raconte toujours la même histoire celle d’un départ et d’une tentative de rester non de diluer son ascendance dans le nouveau lieu mais s’y faire, prolonger l’existence à partir de ce nouveau comptoir, sans rire et sans prendre racine, seulement pour un temps, il n’est pas possible de raconter une histoire sans ses variations

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