Otagaki Rengetsu (1791–1875) femme, poète et céramiste

 L’art au japon est à son summum lorsqu’il se fait idéal de simplicité et est comme un sanctuaire d’où se protéger des assauts du siècle et de la vie. Car si le monde est ce déferlement, il existe en soi et dans des recoins de l’univers les ressources pour apaiser, se mettre au diapason d’un rythme harmonieux, cela était l’idéal d’un art traditionnel mais la poète sait le trouver en soi, au hasard des rencontres et dans sa vie elle-même.

6cefb16d93955ffe1027a104846cc46e
Les années de l’abandon et de la perte Enfant illégitime d’une geisha et d’un courtisan, Otagaki Rengetsu du nom de Nobu fut envoyée à l’age de 8ans au château de Tamba-Kameyama pour y servir et y recevoir une éducation d’une dame d’honneur , elle y apprit les  belles manières et les arts traditionnels, calligraphie et poésie waka, connaissances que l’on attendait des enfants de samouraï. On dit qu’elle était d’une grande beauté. Elle se maria mais sa vie familiale fut malheureuse et elle perdit 5 enfants et deux maris. Ce fut une vie de chagrin, de deuils  et de douleurs. Dans ces poèmes il  est beaucoup question de cette perte et de la mélancolie qui s’ensuit. Lorsqu’elle perdit son second mari et deux de ses enfant, elle décida de se couper les cheveux et de renoncer au monde pour suivre Bouddha.

f3d8b11f3f6df360e39a75b4fa34c1c6

Couper ses cheveux ou la poésie pour vivre Elle fut initiée au temple de Chion’in et devint nonne dans la secte de la terre pure, Rengetsu est son nom bouddhiste. Lune de lotus (ren/蓮)  (getsu/月), attachée au temple de Chion’in n’avait cependant pas de fonction au sein de l’organisation religieuse et vécu avec son père, moine lui aussi et qui avait les moyens de la faire vivre. Mais les tragédies ne devaient pas s’arrêter et elle perdit sa petite fille de sept ans et un petit garçon de cinq, la laissant avec son père adoptif qui devait bientôt mourir.

0649a78491f5622256f6bf0883257a91La mort de son père la laissa dépourvu et pour vivre, elle se mit à fabriquer des bols où elle inscrivait ses poèmes à l’encre ou gravés dans la terre. Elle réalisait aussi beaucoup de calligraphie, illustrées ou non, certaines étant de simples petits bouts de papier que l’on appelait  tanzaku ou de petits carrés appelés  shikish. Elle avait apprit la poterie avec des professeurs amateurs et ses œuvres n’avaient pas la perfection et la sophistication des potiers de métier. Néanmoins ressortaient du lot parce qu’elle y mettait tout son cœur et aussi qu’elle les travaillait comme des pièces uniques, leur incorporant, au pinceau ou bien gravé dans l’argile, ses poèmes qui avaient la fraicheur de la sincérité. Ainsi, en poète abritée par le sens religieux et profane, son talent pour la poésie, son sens de la beauté et la densité de sa vie de femme, toutes ses qualités réunies en une seule sont ce qui fait le prix de ses œuvres. Elle fut suffisamment apprécié pour lui permettre d’en vivre et on la voit dans ses poèmes s’en aller au marché, se mêler aux marchands, s’excusant du peu de son art, vendre ses poésies sur céramique mais aussi toute sorte d’ustensiles liés à la cérémonie du thé.

Artist : Ôtagaki RENGETSU (Japan, b.1791, d.1875)  Title :  Date : 19th century Medium Description: stoneware with underglaze blue and black pigment on white slip Dimensions :  Credit Line : Roger Pietri Fund 2005 Image Credit Line :  Accession Number : 350.2005

Ôtagaki RENGETSU (Japan, b.1791, d.1875) 19eme siècle

Des poteries céramiques pour la cérémonie du thé qu’elle réalisait à la main, bols et ustensiles, bouteilles de saké étaient fortement prisés par les maitres de thé et les amateurs. Bien qu’il soit difficile de juger de la qualité de ses premières œuvres qui ne nous sont par parvenues, les poteries les plus récentes que nous possédons datent de l’époque de sa maturité où elle était dans la pleine possession de ses moyens artistiques et qui attiraient les collectionneurs. L’esthétique de la cérémonie du thé qui suppose que la beauté a besoin de la main d’un maitre pour apparaitre est donc fait de la pauvreté et l’absence d’intention un élément primordial. Peut être la beauté insufflée et l’absence de perfection technique la rendait inestimable à leurs yeux. Le beau réside aussi dans le cru et les craquelures de la vie, l’imperfection qui permet à  l’existence de se manifester et d’être dépassé ou sublimé. Celui qui sait voir la beauté sait l’y mettre, d’où le formidable sens qui se dégage des créations japonaises de ces écoles. 7b0585264508acd31d24be4884a527cc

De fait il y a un charme dans ses céramiques qui doit à la naïveté ou plutôt à la fraicheur qui tranche avec ce que l’on pourrait attendre de désillusion après toutes ses épreuves, ce qui aurait pu l’abimer à jamais, remonte à la surface de son art et Rengetsu, en artiste qui refuse de perdre son souffle, peut être aussi en faisant le choix du bouddhisme, semble refuser de perdre le sens même de la vie qui retrouve une beauté dans cette deuxième phase de sa vie. Elle insuffle une magie simple et essentielle, transformée dans l’esthétique, qui n’est pas la perfection mais permet à l’âme de se manifester dans toutes les expressions, aussi fines et délicates que le sentiment qui les anime, l’essentiel d’une vie qui va s’épurant ayant tout perdu. Est-ce cette modernité à l’œuvre dans la conception japonaise qui nous la rend si proche? A nous et à ses contemporains car elle fut prisée de son vivant, les amateurs devaient aussi rechercher cette qualité essentielle, qui nous fait paraitre à l’écoute de ce qui est humain dans une beauté paradoxale. Tant qu’elle du même s’isoler pour pouvoir travailler. Elle se réfugiait dans les montagnes de la région de Kyoto qui s’y prêtait bien.

La calligraphie La calligraphie de Rengetsu à ses débuts n’avait rien d’extraordinaire et ne se dénotait pas du reste des calligraphes, rien ne la différenciait. Cependant elle développa un art du pinceau particulier qui la rendait reconnaissable entre mille et bien que l’on dénote pas d’influences, elle est pour ainsi dire unique. Dès le début, elle a incisé ses poèmes dans de l’argile humide et c’est pourquoi sa main est si ferme et puissante, son placement de l’écriture dans l’espace si net et assuré. De plus les caractères doivent être propres et lisibles, toutes ses qualités se retrouvent dans sa calligraphie et lui donne ce caractère unique, irremplaçable.

Ainsi ce fut une période où elle apprit à faire de la céramique et à la vendre, l’urgence lui permettant de comprendre ce en quoi elle était remarquable et pouvait espérer en vivre, elle apprit à peindre, étudia les principaux genres de poésie, affina son art de la calligraphie et surtout établit des contact avec d’autres artistes, personnalités littéraires, intellectuelles et politiques de l’époque. Ce furent ses années de formation.

C’est là également qu’elle apprit la peinture Shijo, en particulier auprès du peintre Matsumura Keibun avec qui l’on dit qu’elle avait une liaison, ce qui, à l’époque n’était pas scandaleux pour une ecclésiastique d’avoir une vie amoureuse où les vœux de célibat n’étaient pas respectés. Rengetsu semble avoir été en relation avec le milieu de la peinture Shijo et a connu et travaillé avec des peintres tels Nakajima Raisho (1796-1871), Yokoyama Seiki (1792-1864), Kishi Renzan (1804-1859) Mori Kansai, (1814-1894), et Shiokawa Bunrin (1808-1877) ainsi que Reizei Tamechika (1823-1864), qui fut un des peintres majeur du renouveau du style Yamato-e. La vie de la nonne Rengetsu ne fut pas retirée mais au contraire très exposée et elle multipliait les rencontres avec des gens de tout horizon, ecclésiastiques, artistes et gens de toute profession, et le mouvement semble avoir été une constante de cette période de la vie de Rengetsu.  Car la vie est mouvement et elle tirait sa force de tout ce qu’elle rencontrait, rencontres d’idées et vie de tous les jours glanée sur les chemins, lle était sans être errante, très à l’écoute du monde, ne se retirant que pour travailler. Ainsi elle est une véritable figure de la vie intellectuelle de son époque.

164420De plus il ne faudrait pas oublier et cela est évident à lire, toucher ou regarder ce que ses mains produisent, que cette âme, spiritualité et sensibilité, ayant souffert, avait fait tout un trajet dans son intelligence des choses et de l’existence. Tout cela transparait dans ses œuvres et dans sa personne, d’une grande beauté et sérénité. Son travail est le fruit de cette maturation et d’une aspiration à l’élévation, se trouvant dans une simplicité dépassant l’élégance pour en faire une exigence toute humaine du sublime qui finit par devenir ordinaire. D’ailleurs les motifs qu’elle peint sont ordinaires, on y voit des branches de pin, un papillon, toutes sortes d’herbe, une théière, mais peintes d’une telle façon que la sérénité empreinte des choses du monde nous atteint et qu’on la désire. Cela est peint d’une façon précise mais simple, chaque chose s’y reconnait mais sans s’appesantir, l’essentiel étant ailleurs, on n’y constate pas de manque et la forme semble voler, libérée du présent et de la lourdeur, pesanteur qui y mettrait trop d’importance, en poète amoureuse de la vie, le papillon est  bien un papillon que nous avons pu voir, frôler quelques minutes auparavant mais qui semble nous entrainer ailleurs. Les japonais de cette époque devaient percevoir cet idéal simple mais sans ostentation.  Dépouillement et humanité, si proche encore de la vie de la femme qu’elle fut mais comme apaisée, arrivée à une autre coloration, non de renoncement mais de complicité, peut être.

Cette attention aux choses du présent, par l’écoute de sa sensibilité se retrouvera dans les rencontres et les voyages qu’elle fera, faisant de sa poésie un fait du présent et non d’une mélancolie lointaine et maladive. Au contraire, Rengetsu nous apparait dans la fraicheur et la générosité non feinte, dans la force d’une sensation douce et c’est sans doute son attrait principal. Mais elle devait aussi mener une vie beaucoup plus calme et vers l’age de 75 ans un abbé lui offrit l’occasion d’un sanctuaire et c’est là où elle vécu jusqu’à la fin de ses jours continuant son art et à être appréciée pour la délicatesse de ses expressions.

pour aller plus loin

coverSon oeuvre :
sur pinterest
sa poésie
Otagaki Rengetsu
Rengetsu circle

éléments biographiques
chez Bachman Eckenstein
sur Zen women

Dans les musées :
L’exposition black robe, white mist au NGA
Rengetsu collections
Morikami museum
Asia pacific museum

Bibliographie

Black robe, white mist, National Gallery of Australia
Moon lotus, the poetry of Regentsu, White Pine Press (April 1, 2005)
Rengetsu: Life and Poetry of Lotus Moon, John Stevens  2014
Atagaki-Rengetsu, Poetry and Artwork from a-Rustic Hut, Rengetsu circle

1 thought on “Otagaki Rengetsu (1791–1875) femme, poète et céramiste

  1. Pingback: क्षण Réciter des noms jadis oubliés : la liste des ancêtres féminines du zen – Daishin

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s