Hagiwara Sakutarô est l’un des poètes maudits de ce Japon en pleine révolution moderniste il est considéré comme le père de la poésie moderne japonaise, celui qui ne fait plus appel à la tradition et s’en remet entièrement à l’esprit moderne. Il représente l’effort furieux de coller à cette fascination pour l’occident moderne et dans son cas avec toute la puissance d’un art sans concession, rompant avec les traditions et ramenant dans ses filets l’esprit de l’avant garde européenne. Comme un filet sorti de l’eau et qui s’égoutte, Il n’a que faire de la tradition japonaise. C’est un art sans repos, constamment sur le fil du rasoir qui, dès qu’il s’en éloigne, perd de sa force. Il est l’image même d’un art de la transgression au Japon.

田中恭吉・画、萩原朔太郎著『月に吠える』感情詩社、大正6年
illustration de TANAKA Kyōkichi pour “Hurler à la lune” le premier livre d’HAGIWARA Sakutarō’s ,publié en 1917.
Un art de rupture né du pressentiment C’est un des poètes majeur de l’ère Taisho, cette époque où le Japon est propulsé dans la modernité par l’influence de l’occident. Les jeunes d’alors ne se découvrent plus dans l’assurance d’une tradition mais dans la fournaise d’un monde qui fonctionne en dépit d’eux et dont ils doivent découvrir les règles. Un autre univers dont ils n’ont qu’une vague notion mais qui est l’astre qui les chauffe et les fascine. Le roman de Pa Kin “Famille” montre bien cet état d’esprit, où la tradition ne peut simplement plus fonctionner et un nouvel oxygène est nécessaire. Il n’y a que le choix de se jeter dans la grande eau et celle ci est déstabilisante, l’abandon de l’ancienne peau traditionnelle est douloureuse, traumatique. L’exemple du poète Soseki : désirer le monde nouveau d’occident mais le haïr car son monde n’est pas un monde heureux et si loin de l’esprit du Japon. Mais le Japon est aussi une terre de défi, d’effort violent et d’adaptation continuelle à la nouveauté. De nombreux esprits sont chauffés à cet hélium déstabilisant qui détourne de la tradition tout en propulsant les jeunes japonais dans une attitude qui n’est pas la leur. Hagiwara Sakutarô est l’un des poètes les plus extrêmes de cette tendance .
Né le 1er novembre 1886 à Maebashi, au Nord de l’île de Honshû dans une famille aisée, son père est médecin et sa mère descend d’une famille de guerriers (samouraï?). Très tôt il manifeste une santé fragile, tant physique que psychologique et semble être une de ces personnalités à part , tant mélancolique que solitaire, fasciné par les objets d’Europe et sa vie intérieure parait riche et prépondérante. La poésie, le tanka, forme courte du poème commence à l’intéresser et il se met à publier. Il n’est encore qu’un écolier, il n’a que faire de l’école mais y est obligé par la nécessité de la vie sociale et celle d’avoir un métier. Il ne s’y résout pas, ce passage obligé s’oppose tout simplement à ce que son être préfère c’est à dire la poésie et cette vie de l’esprit qui a ses propres règles. La vie poétique et l’art occidental, le monde qu’il devine n’est-il qu’un miroir aux alouettes ? Chaos scolaire qui montre que de tous les projets de vie il n’y a que celui de l’art qui lui convienne. S’émanciper et apprendre de l’étranger, lire les philosophes, Nietzsche, Poe, Dostoïevski. devine l’esprit de l’époque et les grands thèmes. La création poétique va s’éprendre de ce terreau là, liberté et fascination intellectuelle pour les créateurs extraordinaires qu’il connait mais aussi prépondérance du réel et du concret, réalité humaine psychologique et sociale sont un socle. La littérature japonaise même si elle est dans une dynamique de transformation en reste très éloignée et les questions lui sont posées de très loin.
En 1911 il s’installe à Tokyo. Il se nourrit d’art et de musique, surtout l’occidental, apprend la mandoline et est en révolte contre une société tentée par l’extrémisme. On le voit en rupture et son rêve est de partir pour l’Europe. Puis rapidement il fait la rencontre de gens qui seront ses amis en poésie : Kitahara Hakushû, Murô Saisei, Yamamura Bochô avec qui il se retrouve, envoi ses poèmes aux revues et crée le groupe le Cercle poétique de la sirène. A partir de là il lui parait évident qu’il lui faut se mettre sérieusement à la composition poétique e aller jusqu’au bout du chemin.
Les groupes poétiques, les revues, les collaborations et les amitiés vont se retrouver prépondérantes, on n’est pas trop de plusieurs pour faire naitre ce qui n’a pas encore d’existence et ne se retrouve nulles part autour d’eux. La vie dont ils parlent est à l’état d’énergie qui fuse, et il leur faut la capter. La naissance de la revue Kanjo (Sentiment) avec Muro Saisei va donner corps à cette envie.
La mélancolie tente la forme libre Il est aussi cet être tourmenté et complexe, et les questionnements moraux, les tourments religieux, le ferment musical ou poétique sont au cœur de ses interrogations ainsi peut être que dans sa santé fragile et précaire, son goût pour la solitude et son tempérament mélancolique. Les philosophes nihilistes l’ont nourrit, les écrivains qui puisent dans la vie sordide et non celle rêvée des prosateurs et faiseurs de haiku, la maladie, la folie, la pauvreté sont des mots qui ont tout leur sens. Mais la nostalgie et la mélancolie, comme pour bon nombre d’écrivains japonais de sa génération ou de ceux qui vont suivre, sont toujours là, car l’époque est de rupture et les hommes tiraillés entre plusieurs bords, même à leur corps défendant.
Mais la modernité c’est aussi l’insatisfaction, le décalage d’avec l’harmonie et le poussoir du langage par le corps, le monde, l’esprit et la maladie. Tout cela à la fois va pousser ce qu’il est vers ce qui s’impose à lui et sans qu’il puisse se mouler, n’ayant d’autre choix, sans se mentir que de s’inventer, inventer, aller au fond d’une douleur, prémices de la mort et de l’hécatombe, de l’obstination à survivre, à se coller à ce qui est, demeure du chaos et du présent qui se pousse devant lui.
S’éloigner des formes codifiées et versifiées, accueillir le langage de tous les jours, les mots populaires, faire miroiter la vie elle même dans ce qu’elle a de moins esthétique même si pourtant, la musique et le lyrisme sont toujours présent. Difficile paradoxe de l’importance exclusive de la musique et du monde, chaun s’excluant l’autre, parvenant à une victoire dans la défaite de chacun. Faire vivre le style libre, une prose poétique qui ne soit plus ampoulée, suivre l’exemple des poètes européens qui poussent toujours plus loin ce paradoxe. Et si la recherche d’une nouvelle direction poétique et d’un langage moderne est bien entière, sa poésie sera nourrie de l’entre-jeu et des allers retours entre ces différents éléments, la vie réelle telle qu’elle est en lui, sentiments angoisses et pensées fortes poussant la réalité de l’existence dans sa forme quotidienne nourrit les textes qui en créent de nouveaux. Tous ces éléments se retrouvent liés, comme ligués pour faire sortir la poésie d’une diction convenue qu’elle ne peut plus être. Elle n’est pas non plus dans la réflexion et le projet intellectuel et le vouloir dire. Elle est dans la vie elle même, physique ou morale. Dés lors ces éléments biographique et le parcours qu’ils induisent deviennent l’œuvre lorsqu’ils deviennent poésie.
Tsuki ni hueru, “hurler à la lune”, son premier recueil parait en 1917. Il frappe par la nouveauté et la naissance d’une nouvelle esthétique dans la littérature japonaise. Les poèmes du livre sont écrits avec des mots simples de la langue parlée, il parlent de la vie, mêlant pensées complexes et peurs et angoisses. Ce qui est de la vie de l’individu est rendu à la poésie dans une forme libre, non corseté, sans détour par une forme distanciée, au contraire rendu proche de l’expérience et ceci est d’une grande nouveauté. Les peurs et les angoisses si profondément ancrées dans la personnalités continuent d’exercer un poids sur la condition mentale et spirituelle. Freud n’est pas loin et le sexe et l’Eros habitent certaines pages, malheureusement coupées par la censure. Donner au langage populaire ce poids et cet élévation poétique, voila qui n’avait jamais été fait. Mais la leçon ne réside pas uniquement dans une transposition lexicale, c’est tout une inspiration, un souffle, un style qui est populaire et témoigne d’une telle richesse. La poésie et la littérature coulent de façon fluide avec la force d’un torrent. L’imagerie poétique est renforcée aussi par une égale puissance graphique grâce au travail d’Onchi Koshiro, le peintre qui a su insuffler autant de modernité dans ce pavé dans la mare qu’était ce livre, hurler à la lune , voila qui est dit !
D’autres publications suivront, “le chat bleu” (Aoneko) “L’Île de glace” (Hyōtō ) qui poursuivent sa vision de la poésie et de la littérature, continuant à créer cette poésie moderne japonaise, d’autres œuvres, des aphorismes, de la prose, des essais jusqu’à sa mort en 1942.
pour aller plus loin:
– Site de référence sur poètejaponais.fr , un site très complet, bien documenté qui offre de nombreuses informations sur la vie et l’oeuvre de Hagiwara Sakutakô
Sur google books le très beau livre de Makoto Ueda Modern Japanese Poets and the Nature of Literature
sur enote (essays)
Sur Asymptote, une présentation de Hagiwara par son traducteur Hiroaki Sato
Sur penamerica
des éléments biographiques mais aussi des extraits de “Hurler à la lune” en anglais
sur pip project
sur Jérôme Rothenberg’s poem & poetics et Jacket2
sur poem hunter
ainsi que Deux poèmes traduits en français
Bibliographie (en anglais)
“the iceland”
Cat’ townHowling at the moon