“J’ai toujours voulu pouvoir me promener dans une image comme dans la vraie vie, les couleurs, le bruit, et les allusions aux lieux, au passé, à l’histoire, à la littérature. La mémoire n’est pas seulement visuelle, elle se souvient aussi des sons et des odeurs, du gout des choses et des sensations, des gestes et du toucher, de la texture de ce qui a été manipulé, palpé, caressé, que ce soit sable, chair ou papier … Comment dire tout cela d’un seul trait d’encre”.
” Car ne pas savoir les dessiner, c’était les laisser mourir une deuxième fois, alors que moi je voulais les faire revivre par la fluidité de l’encre “
Hokusai au doigts d’encre, Bruno Smolarz, Arléa 2011
#lectures , ici tenter de laisser mes lectures faire des signes, pas de critiques ni de recension, je n’aime pas ça, mais quelques signes et plus, si la plume se met à courir.
Je n’aime pas tellement les voix étrangères lorsqu’elles parle d’un sujet où elles doivent traverser une frontière incertaine, là Hokusai ou le Japon d’Edo, il y a souvent un coté apprêté, étudié et laborieux, sauf si l’écrivain est un amoureux, qu’il se déplace réellement pour rencontrer l’objet de son amour. Wenceslau de Moraes, les lézardes et les calligraphies des “portraits de Tokyo” de Michael Ferrier, la voix de Donald Richie font exception et parfois les étrangers parviennent à capter quelque chose de ce qui les fascine. Même si je préfère écouter les voix et les saisir au vol, le livre sur Hokusai est un beau voyage.
Dans un style simple et direct, comme quelqu’un qui sortirai dans la rue et se mêlerai à la vie qui coure, l’auteur ouvre la bouche à la voix d’Hokusai qui, jeune garçon, entame une course contre la montre et peint jusqu’à la mort, joyeux de découvrir ce qui lui rend la vie si chère et qui s’en empare. Il y parle du dessin, de la vie qu’il veut capter, de son envie d’être vrai et de ne pas se satisfaire de peu, sa détestation de la copie et puis il faut relever le défi.
fébrile et intense nous sommes dans les ateliers d’Edo de cette époque (1760 et au delà) près de la Sumida et dans les quartiers à l’est du fleuve et c’est là que nous commençons à suivre le peintre.
Ce qui rend ce livre si fort, ce sont ces réflexions sur le dessin et la peinture. La peinture et le dessin ne laissent pas Hokusai tranquille et ses réflexions ont le timbre de ce qu’il devait chercher lorsqu’il levait le pinceau, ou le rabaissait, pris dans ces pensées face au décalage entre l’art et la vie, à son exigence de vie, non de ressemblance, et son désir, et que cela jaillit.
Il y a comme un écho dans l’art du Japon, de ce présent et de ce qui n’est pas peint mais est le sujet. Ne pas peindre les formes mais l’essence de ce qui est, ce qui ne se voit pas. La sensibilité japonaise lorsqu’elle est inventive ne se contente pas d’appliquer des recettes à l’art oubliant de le rendre vif. Il faut peindre la vie. Utamaro, puis Hokusai, les grands du Japon n’auront cessé de se démarquer pour rendre les dessins plus vivants, un portrait comme s’il bougeait, un poisson comme s’il nous glissait dans les mains. Faire en sorte que le dessin d’un dragon se réveille un jour dragon.
On est pris par la vie trépidante du grand peintre, qui a le temps de devenir grand, pour qui la vérité et la liberté est toujours plus importante que la gloire. Une multitude de personnages et les échoppes, les tournants de l’existence, il n’y a pas d temps à perdre, c’est cela Edo. on y entend des musiques, des paroles fortes, des parfums et des gouts pendant que la vie artistique et intellectuelle se fait toujours sentir et est partie intégrante de la vie de la ville. C’est une des grandes réussites de ce livre, derrière ce style simple et direct qui ne cède pas à l’érudition mais nous entraine à sa suite, nous sommes dans le présent du peintre.
Un article du monde (René de Ceccatty)
Une présentation de l’écrivain géographe pour le prix de la fondation Jan Michalski, pour lécriture et la littérature