Je l’ai découvert par hasard, à la fois parce que je cherchais du Biwa et que j’avais l’œil attiré par la magnifique plastique de l’image. Le biwa et la musique japonaise sont ils visuels ? Tout au Japon l’est. Le visuel empreint toute l’émotion à fleur de peau, à portée de main, des doigts et de la voix, du corps et de l’esprit. Ce n’est pas une mise en scène ni une mince allusion, pas un esthétisme vain mais l’art qui nous visite. La musique l’est forcément. La voie d’accès privilégiée à ce qui est mystérieux par essence et s’infiltre comme la pluie de Kafu.
Que la musique respecte les codes et se tienne immobile, respectueuse d’une cérémonie et se tenant à distance. Elle ne peut qu’amoindrir son cours à tenter de se faire valoir, sa force contenue, le retrait, et le musicien devient musique. L’art de Kakushin Nishihara procède de cette attitude et laisse venir comme en peinture la finesse, le son et la voix qui la véhiculent. La beauté est perceptible et se voit. Qu’au contraire le musicien soit investi de sa folie et la porte au devant de la scène et elle est martelée, élancée comme un train à la poursuite d’un temps incohérent sans fin, qu’elle cherche à devancer. Qu’elle soit musique lance dans le mystère.
La musicienne procède des deux. Elle rêve près de son instrument et le tient ferme, prête à tous les voyages, même les plus fous, ancrée dans le présent, divination aux accents de l’antiquité sur la crête du futur. L’être sent palpiter l’existence et en fait sa méditation au fil de l’anticipation.
Elle parait à première vue porter toute la modernité insensée du Tokyo moderne, égérie post-moderne et underground, interprète traditionnelle soumise aux dérapements (contrôlés doublant l’improvisation) tokyoïte attentive aux objets de l’hyperconsommation, jeunesse urbaine indistincte, elle va puiser dans le mouvement fou des mégapoles et des grandes catastrophes universelles, l’essence même, à la fois de la fuite en avant et de l’assurance d’une tradition aussi maitrisée que sauvage.
L’instrument continue de fasciner car il porte un conflit qui ne cesse d’être au cœur de ce pays pris dans les déchirements et dont l’âme porte les marques. Le chant millénaire s’accoude au lâcher prise d’une modernité, qu’il faut assumer mais dont il faut guérir. On se souvient des névroses de Soseki, est ce la raison de cette fascination et de ce choix ?
Non une simple détermination à chanter la beauté, ça aurait pu être le piano. Pas non plus une fascination pour la seule expérimentation, guitare électrique ou musique par ordinateur, mais les deux à la fois, voila ce qu’offre la pratique contemporaine du biwa. C’est qu’elle puise au fond des tourments et tente d’apporter par la discipline de l’art, un équilibre, à chaque instant à conquérir, comme le monde nous y invite. Côtoie et se fait le complice de cet emballement contemporain et lentement ramène un son certain, dans la gorge et sous les doigts, de la soie et de ce bois profond.
Aujourd’hui le Japon est toujours soumis à ces turbulences. La nostalgie saine est ramenée au présent et à l’indubitabilité de la perte, alors tenter ce grand écart pour sauvegarder l’équilibre, désespérance de cette jeunesse ultramoderne de Tokyo, fuite en avant et héritière, summum peut être de l’art du Biwa parce que dans la contemporanéité retrouvée. Le chant pousse, retient et guérit. Couplé à une contrebasse expérimentale le chant est décontenancé, déconcerté, Fukushima, les tsunamis et la ville dragon, les y autorisent.
Sur soundcloud avec Gaspar Claus
Le site de Kakushin Nishihara
disque avec Claus, Gaspar – Jo Ha Kyu
Avec Keiji Haino
Avec Gaspar Claus sur Jo Ha Kyu
Sur “Volcanic records”
sur le blog de Yamane Akiko